samedi 20 avril 2013

Triodos aussi transite par les paradis fiscaux


EXCLUSIF - Pour financer certains projets, Triodos a créé des structures offshore au Luxembourg et au Panama. La banque citoyenne a aussi investi 8,4 millions d’euros dans six fonds domiciliés aux îles Caïmans, au Delaware et à Maurice. Des placements éthiques et durables, vraiment?


Pour les uns, ce sera un choc. Pour les autres, une demi-surprise. On ne peut certes pas mettre Triodos dans le même panier que la Deutsche Bank (974 entités offshore), BNP Paribas (283), KBC (163), ING (27) ou Belfius (16), dont la «culture offshore» est bien plus ancrée. N’empêche, pour une banque qui calibre depuis des années sa communication en surfant sur l’éthique et le «durable», cela fait mauvais genre...

Depuis 2002, plus ou moins discrètement, la petite banque batave a recours, elle aussi, aux paradis fiscaux pour réaliser certains investissements. Marianne a identifié 13 fonds ou sociétés offshore enregistrés au Luxembourg, au Panama, au Delaware, aux îles Caïmans ou à Maurice, pilotés en tout ou en partie par Triodos, quand la banque n’y investit pas elle-même du capital (voir liste ci-dessous).

Sulfureux, ces territoires? Le Grand-Duché, les îles Caïmans et le Panama ont été épinglés en 2009 par l’OCDE sur sa liste grise des paradis fiscaux non-coopératifs – une liste aujourd’hui quasi vide... Outre qu'elles sont très prisées par les grandes fortunes mondiales pour leurs trusts, qui facilitent la fraude fiscale, les îles Caïmans constituent aussi un terrain de choix pour la criminalité financière et les coups tordus: il y a quelques années, un banquier suisse y a été mystérieusement retrouvé calciné dans son 4x4. L’île Maurice? Qualifiée de «trou noir de la finance» par le juge français Renaud Van Ruymbeke en 2009, car «Maurice protège les titulaires de comptes bancaires et assure leur anonymat, même face à des investigations judiciaires». Idem au Delaware, paradis fiscal et terre d'opacité financière au cœur même des Etats-Unis, où Viktor Bout, le trafiquant d’armes russe surnommé le «marchand de mort» utilisait deux boites aux lettres anonymes pour ses trafics...

Au Luxembourg, qui a toujours bloqué toute initiative européenne d'échange automatique d'informations fiscales (avant d'annoncer un assouplissement il y a dix jours), Triodos a créé pas moins de six fonds d’investissement «durables» logés au sein de deux sociétés d’investissement à capital variable (sicav). Le Triodos Sustainable Bond Fund, par exemple, spécule sur le géant de l’intérim Adecco, le constructeur BMW, une usine grecque d’embouteillage de Coca-Cola, ou encore l’alcoolier Diageo (Johnnie Walker, Smirnoff, J&B...). Ces fonds grand-ducaux ont en tout cas le vent en poupe: il y a quelques semaines, le Triodos Sustainable Pioneer Fund s’est vu décerner le prix La Libre Belgique-De Standaard du meilleur fonds d’investissement socialement responsable, et le Triodos Sustainable Mixed Fund celui du meilleur fonds «mixte modéré euro» attribué par la société Morningstar.

Investissement calamiteux

Au Panama, les choses sont plus troubles. Via son fonds Hivos-Triodos spécialisé dans le financement du microcrédit dans les pays en développement, Triodos a créé, avec d’autres, Banex International Capital Corp (BICC) en novembre 2008. Détenue à 12,1% par la banque éthique, cette coquille offshore a été créée pour détenir les titres de la banque Banex au Nicaragua. Objectif: étendre, via ce QG panaméen, les activités de cette banque à d’autres pays d’Amérique centrale, dont le Honduras. Le choix du Panama? Dicté par la «situation politique volatile du Nicaragua en 2008», selon Gera van Wijk, porte-parole de Triodos aux Pays-Bas...

Cet investissement s’est en tout cas révélé calamiteux: le gendarme bancaire du Nicaragua a sifflé la fin de la récré à l’été 2010 et a définitivement liquidé Banex en août 2012. «Banex a été en mesure de rembourser intégralement les dépôts de ses épargnants locaux», précise toutefois Gera van Wijk. Qui ajoute que ProÉxito, autre institution contrôlée depuis le Panama par BICC, «a également arrêté ses opérations, son portefeuille de prêts ayant été repris par une autre institution financière au Honduras». Quant à BICC, elle a été officiellement dissoute le 24 mars dernier.

A Maurice, au Delaware et aux îles Caïmans, c’est un peu différent. Là-bas, Triodos ne gère pas personnellement des fonds offshore, mais y place du capital. Six fonds en profitent. «Triodos détient une participation minoritaire dans tous ces fonds et n’est souvent même pas représentée au conseil d’administration, précise la porte-parole de la banque. Au total, la banque a investi 8,4 millions d’euros dans ces six fonds offshore.»

Que font ces structures? L’EcoEnterprises Fund II investit, depuis le Delaware, dans des PME en Amérique Latine «qui visent à sauvegarder la biodiversité». Le BRAC Africa Loan Fund, domicilié aux îles Caïmans, investit dans des institutions de microfinance en Afrique de l’Est. L’India Financial Inclusion Fund fait pareil en Inde. Pourquoi est-il enregistré à l’île Maurice plutôt qu’à Mumbai ou Calcutta? «A cause de restrictions dans la législation indienne relative à ce type de fonds, répond Gera van Wijk. En Inde, il faut qu’au moins 25 % du capital d’un fonds provienne d’investisseurs indiens. Un critère difficile à respecter. A Maurice, où le secteur des services financiers est très développé, ce quota n’existe pas.»

Aux Pays-Bas, siège central de Triodos, non plus. Même si ces activités offshore ne représentent qu'une petite fraction des investissements de Triodos, en recourant à ces territoires opaques et criminogènes, la banque éthique ne leur donne-t-elle pas de la légitimité? En y payant des taxes gouvernementales et en rémunérant des intermédiaires locaux qui y administrent les fonds, ne les renforce-t-elle pas économiquement?

David Leloup


Les 13 structures offshore gérées ou investies par Triodos

Îles Caïmans
BRAC Africa Loan Fund (2009)

Delaware
MFX Solutions LLC (2009)
EcoEnterprises Fund II (2012)

Maurice
Africap Microfinance Investment Company (2002)
India Financial Inclusion Fund (2008)
Leapfrog Financial Inclusion Fund (2008)

Luxembourg
Triodos Renewables Europe Fund (2006)
Triodos Sustainable Bond Fund (2007)
Triodos Sustainable Equity Fund (2007)
Triodos Microfinance Fund (2009)
Triodos Sustainable Mixed Fund (2010)
Triodos Sustainable Pioneer Fund (2010)

Panama
Banex International Capital Corp (2008-2013)



De nouvelles informations nous étant parvenues après le bouclage du magazine, une version plus courte de cette enquête (mentionnant 10 structures offshore au lieu de 13) est publiée dans Marianne ce samedi en kiosque et en version électronique sur GoPress.be.

vendredi 12 avril 2013

L’offshore secrète des van Zeeland à Panama

 
EXCLUSIF - L’ex-Premier ministre Paul van Zeeland a été actionnaire d’une société offshore créée en 1946 au Panama. Sa petite-fille Catherine, membre du cabinet de Joëlle Milquet, est administratrice de cette coquille depuis 2005. Elle affirme n’en avoir tiré aucun profit. Un compte chez ING au Luxembourg a été régularisé en 2010, mais l’offshore est toujours en vie aujourd’hui.

C’est l’histoire d’un secret de famille bien gardé. Qui n’a même jamais suinté. L’histoire d’une fraude fiscale silencieuse, aux accents claniques, qui apparaît s’être étalée sur plus de 60 ans. Au cœur de l’intrigue, une société offshore créée en 1946 par un ancien Premier ministre. Légué dans la plus grande discrétion à ses enfants, cet encombrant « cadeau » explose aujourd’hui à la figure de sa petite-fille, une proche de la vice-Première Joëlle Milquet. Et au visage de la Belgique tout entière.

Dans le rôle – involontaire – du schtroumpf farceur, un monument de la politique belge : Paul van Zeeland. Premier ministre (1935-1937), ministre des Affaires étrangères (1949-1954), sénateur catholique et bourreau électoral du rexiste Léon Degrelle (lors d’une élection législative partielle en 1937), Paul van Zeeland participera entre autres à la création de l’OTAN, de l’OCDE et de la CECA. Un homme d’Etat.

Celle qui encaisse la déflagration, c’est Catherine van Zeeland. Elle s’est lancée en politique sur les traces de son illustre grand-père lors des élections communales de 2000 à Forest. Elue échevine PSC des travaux publics et de l’urbanisme, elle se représentera sur les listes en 2006 (communales), 2009 (régionales), 2010 (fédérales) et 2012 (communales). Conseillère communale cdH à Forest, elle est surtout proche de la vice-Première ministre et ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances, Joëlle Milquet, dont elle est membre du cabinet depuis cinq ans au sein de la cellule stratégique Egalité des chances.

Flashback. Le 17 septembre 1946, la Compañia de Servicios y Consejos S.A. (en français : Compagnie de services et de conseils) est portée sur les fonts baptismaux au Panama, un paradis bancaire et fiscal. Des documents du Registre des sociétés panaméen, que Marianne s’est procurés, permettent de brosser un portrait épuré, mais néanmoins édifiant, de cette offshore qui traversera imperturbablement la seconde moitié du 20e siècle.

 (...)

Une enquête (5 pages) à lire dans Marianne ce samedi en kiosque, ou en version électronique sur GoPress.be.

 

samedi 6 avril 2013

Armes, pétrole, banque pourrie : le sulfureux client milliardaire de Marc Verwilghen


EXCLUSIF. Avant de quitter le Sénat en 2010, Marc Verwilghen a discrètement rejoint le conseil d’administration de la General Mediterranean Holding, société luxembourgeoise qui détient les clés de l'empire financier de l'homme d'affaires d'origine irakienne Nadhmi Auchi. Ancien intermédiaire dans des ventes d’armes et de pétrole, ce sulfureux milliardaire a été condamné en 2003 en France à 15 mois de prison avec sursis et 2 millions d'euros d'amende pour «abus de biens sociaux» et «recel» dans l’affaire Elf. Une condamnation confirmée en appel (2005) et en cassation (2007). Entre 1982 et 1994, la General Mediterranean Holding détenait 40% de la Banque Continentale du Luxembourg, laquelle a abrité les comptes de dictateurs notoires (Mobutu, Kadhafi, Saddam Hussein, Bokassa, etc.) et des comptes qui ont financé la tristement célèbre Radio Mille Collines, qui a joué un rôle clé dans le génocide rwandais...

Une enquête (5 pages) à lire dans Marianne, ce samedi en kiosque ou en version électronique sur GoPress.be.