samedi 6 juillet 2013

Arnaud Lagardère placardise son «suicide médiatique»

«Allez, on chante, là!»: la maman de Jade Foret et belle-mère de «Nono» lui intime l’ordre d’entonner la Marseillaise lors d’un match au stade de France.
EXCLUSIF. L’homme d’affaires français Arnaud Lagardère a racheté, via sa filiale Lagardère Thématiques, les droits de diffusion en France du reportage «La belle, le milliardaire, et la discrète». Lors de sa première diffusion, en novembre 2012 sur la RTBF, ce long sujet intimiste a été qualifié de «suicide médiatique» pour l’homme d’affaires. Avec cet achat, Lagardère neutralise toute diffusion télé en France d’un reportage compromettant pour son image et celle de son empire médiatique.

Vous vous souvenez de «La belle, le milliardaire, et la discrète», ce reportage de Tout ça (ne nous rendra pas le Congo) sur l’idylle d’Arnaud Lagardère avec le top-model belge Jade Foret? Ces 43 minutes de surréalisme narquois qui ont fait un gros buzz en novembre dernier, où la maman de la belle infantilise l’industriel français en le rebaptisant «Nono» et en se moquant gentiment de lui? Où l’on découvre que l’homme d’affaires de 52 ans, à la tête d’un groupe de 27.000 salariés, est un peu complexé par sa petite taille et s’est fait tatouer sur le tibia un cœur transpercé d’une dague avec le nom de son amoureuse de 30 ans sa cadette? Qu’il chante faux et ne connaît pas les paroles de la Marseillaise? Qu’il rate la cuisson de ses steaks hachés et, quand il prépare un feu de cheminée, Jade lui lance: «T’as de belles petites fesses… Elles sont qu’à moi.»

A l’époque, les commentateurs avaient parlé de prestation «ridicule», de «cas sans précédent dans toute l'histoire du patronat français», de «suicide médiatique» et de «coup de massue pour les actionnaires de Lagardère»… La perspective d’une diffusion de ce programme en prime-time dans l’Hexagone était donc à éliminer au plus vite pour «Nono». C’est désormais chose faite.

MCM et trois chaînes «jeunesse»

Marianne Belgique est en mesure de révéler que les droits de diffusion de la saison 2012 de Tout ça – 18 sujets dont cette petite bombe, regroupés en sept émissions – ont récemment été acquis, pour la France, par… Lagardère Thématiques, filiale du groupe éponyme. Au placard donc, le suicide médiatique de «Nono»! Car à moins que le milliardaire ne soit particulièrement masochiste ou veuille s’afficher comme le nouveau roi de l’autodérision, on a vraiment du mal à imaginer que «La belle, le milliardaire, et la discrète» soit un jour diffusé par l’une de ses chaînes de télévision. D’autant qu’elles n’ont pas vraiment le profil pour ce genre de programme: le groupe possède une chaîne musicale (MCM) et trois chaînes «jeunesse»: Gulli (familiale), Canal J (pour les 7-14 ans) et TiJi (moins de 7 ans)…

Comment s’est opérée cette «mise sous cloche» d’un reportage sapant l’image de ce grand patron du CAC40? Tout simplement. L’émission Tout ça est produite par la RTBF, mais c’est une de ses filiales, la Sonuma, qui a pour mandat de commercialiser les programmes et archives de la chaîne publique belge. En novembre 2012, un distributeur parisien, NeweN Distribution, frappe à la porte de la Sonuma pour acquérir les droits de distribution mondiaux de la saison 2012 de l’émission.

Un «sous-marin» de Lagardère?

«Ils nous ont fait une proposition intéressante, en fonctionnant avec une commission de vente et une rétribution de la Sonuma sur le reste, avec un minimum garanti – c’est-à-dire une avance sur les recettes – très important par rapport à ce que nous aurions pu toucher si on avait commercialisé nous même la saison, se souvient François-Xavier Schlesser, responsable commercial à la Sonuma. Pour ce type d’épisodes d’une durée d’une heure, ils nous ont offert des montants qui correspondent plusieurs fois au coût de la valeur d’une diffusion sur la RTBF, ou sur un territoire comme la Belgique. C’était un très beau chiffre. Chaque épisode a été valorisé», poursuit le commercial, qui se refuse à nous communiquer le montant de la transaction.

Sur la toile, le buzz avait démarré dès le 6 novembre, une semaine avant la diffusion du sujet sur la RTBF. Selon nos informations, le deal entre NeweN et la Sonuma a été signé le 13 novembre 2012, la veille de la diffusion. Cette coïncidence de dates est-elle le signe que NeweN agissait en «sous-marin» pour Lagardère? Rien ne l’indique, et NeweN dément ce scénario: «Une fois que nous avons acquis les droits de distribution pour le monde entier, nous l’avons fait savoir à nos clients», explique Laetitia Recayte, directrice générale de NeweN. Tous ses clients ont été informés en même temps de cette opportunité d’achat, affirme-t-elle.

Vendu au plus offrant

Invoquant le secret commercial, Laetitia Recayte refuse de confirmer avoir vendu ces droits de diffusion au groupe Lagardère: «On ne se bousculait pas au portillon pour acquérir ces droits. Je peux juste vous dire que nous les avons vendus au plus offrant.» Une offre de France 3, partenaire historique de la RTBF pour la production et la diffusion de l’émission Strip-Tease (l’ancêtre de Tout ça), aurait été supplantée largement par l’offre de Lagardère.

NeweN aurait assuré la Sonuma que le programme a été acheté pour être diffusé. Mais en réalité, aucune garantie contractuelle n’existe sur ce plan, ce que la Sonuma confirme: «Malheureusement non. Mais j’espère que la série sera diffusée, et que NeweN a pris toutes les précautions pour s’en assurer», commente François-Xavier Schlesser, qui envisage à l’avenir d’ajouter une clause dans les contrats afin qu’en cas de non-diffusion d’un programme vendu, les auteurs soient rétribués par le distributeur pour compenser la perte financière liée à cette non-diffusion.

Aucune garantie de diffusion selon le contrat

Car la RTBF, qui a produit et réalisé la série, est également rétribuée (plus modestement) lors de chaque diffusion d’un programme vendu, rappelle-t-on à la Sonuma: «N’oubliez pas que ceux qui produisent des programmes touchent des droits lors de la vente des droits de diffusion, mais aussi lors de la diffusion même, au travers des filières droits d’auteur et autres. Pour un auteur, un producteur, la vente des droits n’est pas une fin en soi. L’objectif est que le programme soit vu.» Notamment pour que le robinet à euros coule une seconde fois.

Bref, une mise au placard par Lagardère de la saison 2012 de Tout ça serait synonyme de pertes de rentrées pour la RTBF et les réalisateurs des 18 reportages concernés. Laetitia Recayte confirme en effet que lorsque NeweN vend des droits de diffusion, cela n’implique «aucune garantie de diffusion». Le distributeur vend au plus offrant pour son client. Point.

Placard à durée indéterminée

Reste une question: combien de temps le reportage «La belle, le milliardaire, et la discrète» va-t-il rester bloqué dans un tiroir chez Lagardère? La durée d’exploitation des droits de diffusion d’un programme peut varier «de quelques semaines à quelques années», répond Laetitia Recayte en théorie. Et à expiration des droits, rien n’empêcherait Lagardère de les acheter à nouveau pour maintenir le verrou sur une diffusion hexagonale.

Sur la toile, le sujet n’est pas disponible sur Dailymotion, la plateforme française de partage de vidéos, mais bien sur YouTube. Où il n’a été vu que 6.500 fois. Bien moins que les centaines de milliers voire les millions de vues auxquelles il pourrait prétendre en cas de diffusion télé en prime-time en France.

Contacté, le groupe Lagardère n’a pas donné suite à nos questions.

David Leloup


Précision (07/07/2013 @ 12:04) :

François-Xavier Schlesser, responsable commercial à la Sonuma, tient à préciser qu’il a intégré la Sonuma en janvier 2013, donc deux mois après la vente des droits de l’émission Tout ça au distributeur NeweN. Il ajoute: «A l’avenir, nous distribuerons nous-mêmes nos programmes sans passer par un intermédiaire. Et je peux vous assurer que jamais nous n’aurions vendu les droits de “La belle, le milliardaire et la discrète” à Lagardère.»



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