mardi 29 avril 2014

A partir de quand la N-VA sera-t-elle incontournable ?

(c) Belga
C’est la question de ces élections, et les charges récentes de Kris Peeters, tout comme la sortie conjointe – tout arrive – de Didier Reynders et Charles Michel, la relancent. A quel moment les francophones seront-ils officiellement otages de la N-VA?

La morale des tranchées ne s’arrête pas aux Flanders Fields: rien de tel qu’un ennemi pendant une campagne, mais rien de pire une fois le conflit engagé. A dix semaines des élections, chacun trouve son intérêt à l’antagonisme. Ce week-end à Bruges, le ministre-président flamand Kris Peeters s’en est donné dans ce registre. Et ce matin encore, Charles Michel et Didier Reynders, l’un en Flandre l’autre en Belgique francophone, annoncent des exclusives aussi pétaradantes que gratuites. Car des deux côtés de la frontière linguistique, on se construit l’autre en démon, avec un premier ministre wallon qui joue les prophètes de son pays, et un bourgmestre d’Anvers qui pose au guérillero antibolchévique.

Mais une fois les contingents électoraux mobilisés, pas question de se lancer de vrais obus. Il faudra se compter, puis négocier. Et, à ce jeu, si certains francophones, Elio Di Rupo en tête, ont un intérêt électoral immédiat à exagérer le danger nationaliste, tous ceux qui, au Sud, sont attachés à la Belgique, doivent redouter que l’électeur flamand offre un veto à la formation de Bart De Wever. Premier parti du pays aux législatives de 2010, aujourd’hui nantie de 27 sièges à la Chambre des députés, la N-VA avait sévèrement compromis, c’est peu de le dire, la formation du gouvernement fédéral. Voici comment elle pourrait se rendre encore plus incontournable.

Le choix tactique de De Wever

Soit si elle renonce, même provisoirement, au premier article de ses statuts, qui réclame l’indépendance de la Flandre. C’est la possibilité la moins traumatique pour le régime, celle d’une N-VA qui entrerait dans le jeu fédéral en édulcorant ses revendications. La première condition de l’isolement de la N-VA est en effet son inflexibilité, pas sa puissance électorale. Plus elle sera fréquentable, plus elle sera admissible, et moins elle sera contournable, compte tenu de son rang de premier parti flamand. Qu’elle mette en veilleuse ses revendications institutionnelles, et elle deviendra un partenaire plausible pour les francophones, même pour les plus formellement réticents (ceux de gauche), et même si elle ne dépasse pas son résultat de 2010. 30% en Flandre suffiraient alors largement à rendre incontournable une N-VA adoucie. Moins, même.

Mais rien n’est moins prévisible que cet adoucissement. On se rappelle comment la Tour de l’Yser s’était abattue sur le pauvre Siegfried Bracke lorsqu’il avait déclaré espérer la composition d’un gouvernement de réforme socioéconomique avant le bouclage d’une nouvelle, et décisive, réforme de l’Etat. On se rappelle les réactions de ses camarades. Et son acte de contrition. Bart De Wever, qui entretient un flou délibéré, choisira, le soir du 25 mai. Mine de rien, l’alternative est pour son parti grosse de difficultés, entre la normalisation et l’aventure : soit rester cinq ans dans l’opposition et s’y contracter, soit participer à tous les gouvernements et s’y abîmer. Tracas de riche, certes, mais tracas tout de même. Un triomphe électoral pourrait lui éviter de devoir trancher. Il l’espère. C’est la raison de son flou.

Le résultat à Bruxelles

Soit si elle obtient une majorité à Bruxelles, ce qui empêcherait mathématiquement la composition d’un gouvernement bruxellois sans sa participation. C’est l’hypothèse du petit caillou dans la chaussure qui empêche d’avancer, puis de vivre. Elle n’est pas impossible, mais peu probable. La représentation flamande au Parlement et au gouvernement bruxellois est en effet constitutionnellement garantie. Or, obtenir la majorité des 17 sièges flamands nécessite peu de suffrages. C’est envisageable avec une grosse vingtaine de milliers de voix. La N-VA, en 2009, n’en avait rassemblé que 2.500, ce qui ne lui avait donné qu’un siège.

Elle s’organise cependant à Bruxelles, et les sondages la donnent en grand progrès sur la Région. De là à y décupler sa récolte, il y a un pas difficilement franchissable. Mais celle du Vlaams Belang pourrait, ici comme en Flandre, la renforcer relativement. A tout hasard, nos confrères du Soir invitaient récemment les électeurs francophones de la Capitale à voter pour un des autres partis flamands. Pour qu’à deux, trois, voire quatre, VLD, SP.A, CD&V et Groen! puissent composer une majorité. En supposant qu’ils le désirent.

Le résultat en Flandre

Soit si N-VA et Vlaams Belang font 45% à l’élection régionale flamande, ce qui donnerait aux nationalistes flamands une majorité absolue en sièges au Parlement. C’est l’hypothèse du gros rocher sur la gueule. La N-VA pourrait alors faire mine de vouloir rompre le cordon sanitaire pour rompre avec la Belgique. Ou exiger d’astronomiques contreparties pour ne pas le faire.

Des sondages ont naguère donné la N-VA à 40%, mais le soutien semble aujourd’hui se tasser. Bart De Wever n’est plus aussi triomphal, comme homme politique le plus populaire de Flandre. Sur son chemin, il a trouvé le ministre-président CD&V Kris Peeters et Maggie De Block. Et puis le Vlaams Belang périclite, largement siphonné du reste par cette droite décomplexée donc démocratique que porte le bourgmestre d’Anvers. Le blocage ultime, celui d’un raz-de-marée nationaliste, apparaît donc aujourd’hui (encore) moins réaliste qu’auparavant. Même si la campagne n’a pas encore révélé sa dynamique.

Le choix tactique de Peeters

Reste l’ami mais potentiel ennemi, Kris Peeters. Il aurait des raisons de vouloir contourner la première formation flamande, même si son CD&V dépasse à peine les 20% le 25 mai. Car le ministre-président flamand dispose dans sa manche des mêmes atouts que Bart De Wever, mais inversés. Puisque tout le monde sauf lui craint la N-VA, tout le monde a besoin de lui: la N-VA pour gouverner, les autres pour la contrer. Les gouvernements auront cinq ans devant eux, sans aucun autre scrutin devant eux que les communales de 2018.

Kris Peeters pourrait prendre le risque de reléguer la N-VA dans l’opposition à tous les niveaux, dans l’espoir de la voir, en un lustre, s’éteindre comme elle s’est allumée. Il faudrait pour cela convaincre les autres partis flamands de la pertinence de son pari. Et recevoir des francophones d’encore plus larges concessions à la Flandre qu’en 2011. La seconde condition est acquise, la première, très incertaine. A la guerre comme à la guerre, c’est Alles voor Vlaanderen, Vlaanderen voor Kris.

Nicolas De Decker

(Article publié dans M... Belgique n° 5-6, du 11 au 24 avril 2014)

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