dimanche 27 avril 2014

Dossier «Standard»: Pierre François a payé pour éviter un procès

(c) Belga
EXCLUSIF. L’ex-directeur général du Standard de Liège ne sera pas renvoyé devant le tribunal correctionnel dans la méga-affaire de malversations présumées au Standard. Comme la loi le lui permet, Pierre François a conclu une opaque transaction financière avec le parquet de Liège pour échapper à toute poursuite éventuelle.

L’ancien avocat Pierre François avait été inculpé en juin 2011 pour «faux» et «usage de faux» dans le cadre de la signature des contrats de plusieurs joueurs. La justice liégeoise reprochait à l’ex-directeur général du Standard d’avoir signé quatre conventions bidon pour payer des compléments de salaire au noir à certains joueurs. Plus de 763.000 euros auraient ainsi quitté la comptabilité du club liégeois en 2003 et 2004 sur la base de fausses factures découlant directement de ces conventions contrefaites.

Les joueurs Ivica Dragutinovic, Miljenko Mumlek et Sambegou Bangoura auraient bénéficié d’une partie de ces fonds occultes dirigés notamment vers des comptes en Suisse. Un businessman serbe, un restaurateur liégeois et un agent de joueur français leur auraient remis du cash en guise de complément de salaire occulte. Ces montages auraient permis au Standard d’éluder les cotisations fiscales et sociales normalement dues sur les compléments de salaire occultes.

Pierre François, les trois joueurs et les trois intermédiaires ont tous été inculpés pour faux et usage de faux – des infractions pénales pouvant valoir à leurs auteurs jusqu’à cinq ans de prison et 10.000 euros d’amende. L’ancien directeur général du Matricule 16 serait pour l’instant le seul dans ce dossier à avoir utilisé la loi du 14 avril 2011 qui permet à une personne poursuivie pénalement de réaliser une transaction financière avec le parquet à n’importe quel moment de la procédure. Une loi controversée obtenue par le MR et les autres partis de droite en février 2011, en pleine crise gouvernementale, en échange de la levée du secret bancaire belge, comme le raconte le journaliste Eric Walravens dans son livre Dumping fiscal (Les petits matins/Institut Veblen) qui vient de paraître.

Pierre François confirme

Contacté ce dimanche par nos soins, Pierre François confirme cette transaction avec le parquet mais ne souhaite pas s’exprimer sur le montant qu’il a accepté de payer: «Le parquet m’a effectivement proposé une transaction, que j’ai acceptée, mais je ne souhaite pas communiquer davantage sur cette affaire par respect pour le président de la chambre du conseil qui doit connaître du dossier demain.» Ce lundi en effet, la chambre du conseil de Liège se penchera sur le dossier «Standard». Les avocats de la trentaine de prévenus auront la possibilité de plaider, mais ce n’est pas demain que la chambre du conseil décidera du renvoi ou non des prévenus devant le tribunal correctionnel. Il faudra encore attendre quelques semaines pour cela.

Rappelons que selon la loi, une transaction pénale n’implique pas une reconnaissance de culpabilité. Dès son inculpation en 2011, Pierre François a donné instruction à ses avocats de solliciter une transaction auprès du parquet de Liège. Ce que ce dernier a accepté. Selon nos informations, la transaction entre Pierre François et le parquet a été finalisée il y a environ un mois. Le parquet a dès lors ressorti une page de réquisitions demandant l’extinction de l’action publique à l’égard de l’ex-directeur général du Standard. Cette réquisition devrait être actée ce lundi par le président de la chambre du conseil.

Janvier 2003: 556.000 euros pour Dragutinovic via un faux falsifié

Mais quels sont les faits qui étaient exactement reprochés à Pierre François? Premièrement, d’avoir signé le 15 janvier 2003, soit deux semaines seulement après son arrivée à Sclessin, une convention bidon avec le club serbe FK Borac, où Dragutinovic avait été formé. But de la manœuvre: rémunérer le joueur au noir pour qu’il prolonge son contrat à Sclessin, ce qui fut fait dès le lendemain 16 janvier. L’opération était un peu plus complexe que cela. Sans rentrer dans les détails, pour donner une apparence de légalité à la convention bidon du 15 janvier, une convention antérieure, datant de juin 2000, a dû être falsifiée elle aussi en janvier 2003.

Résultat des courses: le 2 avril 2003, 337.000 euros sont virés par le Standard sur un compte à Genève ouvert auprès de la Bank of New York-Inter Maritime Bank. Le 19 octobre 2004, un second paiement de 219.000 euros part sur le même compte genevois. Qui est le bénéficiaire économique de ce compte? Pas le FK Borac mais un certain Stanimir Prelić, un homme d’affaires serbe qui était le principal sponsor du club serbe à l’époque. Lors de son interrogatoire, Prelić admettra avoir rétrocédé en cash une part substantielle de ces fonds à Dragutinovic. Ce deal aurait été confirmé par le comptable du Standard.

Juillet 2003: 97.500 euros de «prime à la signature» pour Bangoura

L’ex-directeur général du Matricule 16 était également poursuivi pour son rôle dans le transfert au Standard de l’attaquant guinéen Sambegou Bangoura. Le joueur, qui vient de Lokeren, signe le 1er juillet 2003. Mais l’enquête a montré qu’entre mai 2003 et août 2004, le Standard a versé 300 000 euros à Mid Field Sport Management, la société de Laurent Dechaux, l’agent de Bangoura. Officiellement il s’agit d’une commission pour l’agent, mais son montant a été «gonflé».

Mais dans un courrier du 23 décembre 2003 saisi au Standard, Mid Field Sport Management adresse à Pierre François le «détail des paiements effectués au joueur Bangoura». L’agent précise que sur les deux premières tranches de 50.000 et 100.000 euros que le Standard lui a déjà versées, il a redistribué 97.500 euros au joueur guinéen. Pour la justice, il s’agit là d’un cas typique de «prime occulte à la signature» versée au joueur par son agent. Avec l’approbation de Pierre François, qui a signé pour le Standard la convention «gonflée» avec Mid Field. Une convention avantageuse pour le club liégeois qui a zappé les cotisations fiscales et sociales normalement dues sur les 97.500 euros.

Septembre 2003: 110.000 euros pour Mumlek via la Suisse et Liège

Enfin, Pierre François est aussi suspecté d’avoir cautionné un double système de rémunération occulte lors de l’arrivée du milieu croate Miljenko Mumlek à Sclessin. Le 31 août 2003, le joueur est transféré pour 230.000 euros du club croate NK Varteks. C’est Pierre François qui signe ce transfert pour le Standard. Mais l’enquête judiciaire a montré que seuls 150.000 euros ont été virés sur le compte du club en Croatie. Les 80.000 euros restants? Retrouvés sur un compte très discret ouvert en Suisse auprès de la banque UBS. Pour qui? Pour Mumlek, selon une note découverte par les enquêteurs dans le bureau de Pierre François à Sclessin, signée par le directeur des ressources humaines du Standard. Ce montage illégal aurait été préalablement validé par Michel Preud’homme, alors directeur technique au Standard en charge des transferts. Ce dernier a d’ailleurs été poursuivi en juin 2012 par le parquet pour faux, faux fiscaux et usage de faux.

Mumlek aurait également touché une seconde prime occulte, cette fois de 30.000 euros, grâce à une convention signée le 1er septembre 2003 par Pierre François entre le Standard et une société liégeoise active dans l’horeca pilotée par un intermédiaire décédé depuis. Le Standard vire les fonds le 12 septembre. Ils sont retirés cash de la société le 19 et auraient été remis de la main à la main à Mumlek.

Pas d’enrichissement personnel

Lorsqu’il a endossé la fonction de directeur général du Standard, en janvier 2003, Pierre François était aussi président de la chambre exécutive de l’Institut professionnel des comptables et fiscalistes agréés, et chargé de cours en droit commercial à HEC-Liège. Il se défend de tout enrichissement personnel lors des transactions pour lesquelles il a été poursuivi. Après les joueurs, le principal bénéficiaire était le Standard en éludant les cotisations fiscales et sociales sur ces compléments de salaire occultes.

David Leloup

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