mercredi 2 avril 2014

Les mystérieuses offshores du «dir’ fin’» de Kabila

 
Joseph Kabila, président de la République démocratique du Congo, devait être à Bruxelles ces 2 et 3 avril pour le sommet UE-Afrique. Il s’est fait remplacer. M... Belgique révèle que son très fidèle directeur financier, Emmanuel Adrupiako, est administrateur de deux obscures sociétés panaméennes: Nova et Morayo. Qu’un Belge insaisissable apparaît dans une de ces offshores. Et qu’un Kinois surnommé «Mignon Panda» efface les traces d’Adrupiako sur Internet.

C’est un personnage de l’ombre. Un fidèle d’entre les fidèles de Joseph Kabila. Un membre du «premier cercle» du président de la République démocratique du Congo (RDC). Contre vents et marées, depuis 2001, Emmanuel Adrupiako est le discret directeur financier du cabinet de Joseph Kabila. Il a survécu à tous les remaniements. C’est dire s’il jouit de la confiance indéfectible du président…

Une fidélité de 15 ans

Alors que Joseph Kabila devait être en visite officielle à Bruxelles ces 2 et 3 avril pour le 4e Sommet UE-Afrique organisé par le Conseil européen (il s'est finalement fait représenter par un de ses ministres), M… Belgique dévoile l’existence de deux offshores panaméennes, toujours actives aujourd’hui, dont Emmanuel Adrupiako est l’un des administrateurs. Quelles activités ces deux sociétés-écrans camouflent-elles? Seraient-elles utiles au président Kabila? Ou s’agirait-il d’affaires légitimes réalisées par Adrupiako? Mais dans ce cas, pourquoi tant d’opacité?

Peu connu des Congolais, Adrupiako, 53 ans, est un des membres fondateurs du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) créé par Joseph Kabila en 2002. Ce licencié en sciences économiques fut d’abord conseiller à l’Union nationale des travailleurs du Zaïre (UNTZa), alors premier syndicat interprofessionnel du pays, avant de devenir fonctionnaire au ministère du Plan. Il sera ensuite nommé directeur financier du Programme de vaccination. Puis, fin des années 1990, sous Kabila père, il s’approche véritablement des hautes sphères du pouvoir congolais en devenant assistant administratif au Secrétariat privé du chef de l’Etat.

En janvier 2001, quand Laurent-Désiré Kabila est abattu, son fils Joseph lui succède sans que des élections ne soient convoquées. Dans la foulée, Adrupiako est nommé directeur des finances du nouveau président de la République.

En novembre 2002, Emmanuel Adrupiako crée une première panaméenne: Nova International Investments SA. Ses partenaires au conseil d’administration? Un certain Engo Nkanda, né en 1952 à Léopoldville (Kinshasa), et un Français né en 1946 à Rennes, Edouard Martin.

Moisir avec les moustiques

Dans les documents officiels de Nova International (voir ci-dessous), Adrupiako est le président de l’offshore, Martin le secrétaire et Nkanda le trésorier. Ce dernier a obtenu la nationalité belge le 8 décembre 2000. Adrupiako n’a pas souhaité répondre à nos questions (il nous a envoyé un droit de réponse ce 2 avril que nous publions intégralement ci-dessous, NDLR). Il nous a renvoyés vers Engo Nkanda, que nous avons joint à Kinshasa. Ce dernier, auquel nous avons transmis les statuts de Nova International, obtenus auprès du Registre des sociétés panaméen, nie tout lien avec cette société offshore. «Je ne comprends pas pourquoi mon nom apparaît dans ces documents. On l’a utilisé à mon insu. Je suis ici en train de moisir avec les moustiques et je serais trésorier d’une société au Panama?».

Il dit qu’il ne connaît pas Adrupiako et qu’il va porter l’affaire devant la justice belge pour tenter d’élucider ce mystère. Mais l’homme au bout du fil était-il bien celui qu’il prétendait être? Quand nous lui avons demandé en quelle année il avait obtenu la nationalité belge, il s’est montré incapable de nous répondre…

Mais revenons à Adrupiako. Le 14 juillet 2003, il crée une seconde offshore au Panama: Morayo Investments SA (voir les statuts ci-dessous). A ses côtés, un prête-nom local et une certaine Françoise Merenge Kibandja (par ailleurs administratrice d’une obscure fondation canadienne baptisée Urda et présidée par Adrupiako).

Deux autres offshores à Londres

Outre les panaméennes, le directeur financier de Joseph Kabila a également un faible pour les anglaises. En novembre 2003, il crée Multidigital Finance Limited, une coquille vide domiciliée dans une modeste habitation de Leyton, dans la banlieue londonienne. Officiellement, la société fournit des… soins dentaires. De cinq ans sa cadette, Victoria Adrupiako (son épouse? sa sœur?) est bombardée secrétaire de la société en 2004. Deux ans plus tard, Multidigital Finance est dissoute.

Est-ce le désir de brouiller les pistes? En mai 2008, Adrupiako crée une autre coquille au nom très proche: Multifunctional Finance Limited, domiciliée à la même adresse que feu Multidigital Finance. La société déclare alors être active dans l’«extraction de minerais de fer», la «production d’électricité» et les activités bancaires. Rien que ça. Elle sera dissoute en janvier 2013.

A côté de cet étrange business offshore, le directeur financier du président congolais soigne son «e-réputation». Adrupiako a en effet fait appel à un spécialiste de la réputation sur Internet, c’est-à-dire de l’image reflétée par les premiers résultats d’une recherche réalisée sur le nom d’une personne dans un moteur de recherche comme Google, par exemple. Objectif: faire «redescendre» les résultats compromettants le plus bas possible en créant un maximum de pages web «de distraction» bien référencées, c’est-à-dire qui apparaissent dans les premiers résultats.

Profil Facebook bidon

Il semble que ce qu’Adrupiako chercherait à cacher, justement, ce soit une discrète page web révélant ses liens avec les deux panaméennes – une page générée automatiquement à partir d’une base de données pirate qui provient du Registre des sociétés panaméen. Plusieurs blogs bidon ont été créés au nom d’Emmanuel Adrupiako sur les plateformes Canalblog, Overblog, Wordpress et Blogspot, ainsi que des profils Facebook, Twitter, LinkedIn, Google+, Viadeo, About.me, etc. Même des sites populaires de prénoms pour bébés ont été utilisés pour brouiller les pistes!

L’architecte de cette stratégie d’enfumage est un Congolais de Kinshasa, qui se présente sur la toile sous le nom de «Mignon Panda» ou «Mistikeur». Grâce à ses efforts, les offshores panaméennes d’Adrupiako n’apparaissent plus qu’en 47e position sur Google, soit à la fin de la 5e page de résultats lors d’une recherche réalisée sur «Emmanuel Adrupiako». Tout l’art de l’e-camouflage…

David Leloup (avec Q.N. et B.K.)





Le droit de réponse d'Emmanuel Adrupiako reçu ce 2 avril:



1 commentaire:

  1. Droit de réponse… et menaces de mort

    M… Belgique maintient l’intégralité des informations contenues dans l’article contesté.
    Pour créer et devenir administrateur d’une société offshore au Panama ou en Grande-Bretagne, il faut fournir à un intermédiaire agréé (avocat, fiduciaire…) une pièce d’identité et une signature. Il est donc légalement impossible de désigner un administrateur dans une offshore, à Panama ou à Londres, sans son consentement. C’est logique, sinon n’importe qui mettrait son ennemi politique dans une offshore et le dénoncerait aussitôt pour le discréditer en suggérant qu’il cherche à frauder le fisc.
    M… Belgique a tout mis en œuvre pour recueillir la version de M. Adrupiako à propos des quatre offshores (deux panaméennes et deux britanniques) dans lesquelles son nom apparaît dans des documents gouvernementaux officiels. Nous l’avons contacté par l’intermédiaire de notre confrère Ben Kabamba, journaliste et rédacteur en chef de Radio Okapi, organe d’information indépendant soutenu par les Nations Unies. M. Adrupiako a répondu à notre collègue qu’il ne souhaitait pas nous accorder d’interview et nous a renvoyé vers M. Engo Nkanda, dont le nom apparaît également parmi les administrateurs d’une des deux panaméennes évoquées.
    Ce dernier a menacé de mort notre journaliste David Leloup: «Moi je vous intente un procès à mort. Ce n'est pas de la rigolade. (…) Essayez seulement de publier, vous perdrez. Je ne vous parle pas du côté justice, mais du côté règlement de comptes. Je suis Congolais, je n'ai pas d'argent. Si on me condamne à 10 ans de prison parce que je vous ai éclaté, vous croyez que ça me ferait quelque chose? Je peux faire 20 ans en prison, je m'en fous.»
    Suite à ces menaces scandaleuses, notre journaliste a porté plainte contre M. Nkanda.
    M. Adrupiako a eu pleinement la possibilité de communiquer à notre journaliste sa version des faits, à savoir que Morayo aurait servi de véhicule d’investissement. Nous notons que M. Adrupiako l’affirme a posteriori sans fournir la moindre pièce matérielle attestant de cette version des faits. Nous réfutons avoir affirmé «avec force» que l’offshore panaméenne Morayo Investments a été «utilisée pour des activités obscures».
    Nous notons également que M. Adrupiako affirme avoir saisi Interpol et nous avoir informés de ce fait par l’entremise de notre confrère Ben Kabamba. Or la lettre de M. Adrupiako adressée au bureau central national d’Interpol à Kinshasa, qu’il nous a transmise, est datée du 26 mars, alors que sa rencontre avec M. Kabamba date du 24 mars. Cette affirmation ne tient donc pas.
    La rédaction

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