jeudi 29 mai 2014

La banque UBS Belgium soupçonnée d’aide à la fraude fiscale


EXCLUSIF. UBS Belgium, la filiale belge de la banque suisse UBS, est sous le coup d’une instruction judiciaire ouverte par le parquet de Bruxelles. Celui-ci soupçonne la banque de «blanchiment d’argent» dans le cadre d’une «organisation criminelle». Le tout sur fond d’évasion fiscale de clients belges vers la Suisse.

Chefs d’entreprise, sportifs, diamantaires, people…: des contribuables belges fortunés auraient été approchés, au cours de ces dix dernières années, par des chargés d’affaires suisses de la banque UBS afin de leur proposer l’ouverture d’un compte offshore non déclaré en Suisse. Avec la complicité d’UBS Belgium, la filiale belge du géant bancaire suisse, des montants importants auraient ainsi illégalement quitté le plat pays pour celui du gruyère.

La porte-parole du parquet de Bruxelles, Jennifer Vanderputten, a confirmé à M… Belgique qu’une instruction judiciaire a bien été ouverte à l’encontre d’UBS Belgium pour des faits de «blanchiment d’argent» dans le cadre d’une «organisation criminelle». L’enquête a été confiée au juge financier bruxellois Michel Claise, spécialisé dans la lutte contre la criminalité en col blanc.

Hôtels de luxe

Selon nos informations, l’instruction a été ouverte fin 2013 et reposerait notamment sur un témoignage très détaillé. Des chargés d’affaires suisses d’UBS, dont un certain «M.S.», descendaient régulièrement à l’hôtel Conrad, un palace cinq étoiles situé avenue Louise à Bruxelles, et dans un hôtel chic de Gand, pour y rencontrer des clients avérés ou potentiels. En toute discrétion. A partir de juin 2006, ces banquiers en goguette ont même été tenus de respecter des consignes de sécurité dignes d’un James Bond. Un tel démarchage de clients, par des commerciaux suisses sur le territoire belge, est illégal: la maison-mère, UBS AG, qui emploie ces commerciaux, ne dispose pas des autorisations requises.

Des enquêtes judiciaires pour des faits similaires ont été ouvertes contre UBS aux Etats-Unis en 2007, puis en France et en Allemagne en 2012. Ce qui fait de la Belgique le premier «petit» pays à s’attaquer au mammouth bancaire suisse. Car avec des actifs sous gestion estimés à 1.705 milliards de dollars en 2013, la banque, qui compte 60.000 employés dans plus de 50 pays, se profile comme le premier gestionnaire de fortune mondial.

La Belgique, marché lucratif

Pour UBS, l’aventure belge démarre à l’été 2002 avec l’ouverture d’une filiale à Bruxelles. La banque ouvrira ensuite un bureau à Anvers en 2006, puis un troisième en 2008 à Gand. Un essor rapide dû au fait que la Belgique figure parmi les vingt plus gros marchés au monde pour la banque privée, c’est-à-dire les services de gestion de fortune. Les entrepreneurs du baby-boom atteignant petit à petit l’âge de la retraite, ils cèdent leur société et décrochent le jackpot.

Pour recruter de nouveaux clients, UBS Belgium mise notamment sur le sponsoring d’événements culturels et sportifs. Une stratégie globale, appliquée dans le monde entier. Ainsi, de 2004 à 2010, UBS a été le principal partenaire de la Chapelle musicale Reine Elisabeth. En 2009, quelques mois après l’ouverture de sa succursale à Gand, la banque s’est mise à sponsoriser le Royal Latem Golf Club. Le club est situé dans la banlieue chic de Gand, à Sint-Martens-Latem, commune où le revenu moyen par habitant est le plus élevé du royaume. Et si, en 2010, UBS s’est mise à sponsoriser le championnat du monde de Formule 1, la banque exploitait déjà de longue date le circuit de Spa-Francorchamps pour «entrer dans l’intimité» de ses clients les plus fortunés (lire ci-dessous).

«Team offshore»

Selon des témoignages et des documents, le démarchage illicite de clients d’UBS Belgium par des chargés d’affaires suisses aurait existé dès le tout début des opérations belges de la banque. Un courriel de février 2003 montre par exemple qu’il existait déjà à cette époque, entre la Suisse et la Belgique, des contacts directs à propos de clients d’UBS Belgium.

Dès 2003, des contacts directs existaient, entre la Suisse et la Belgique, à propos de clients d’UBS Belgium (le «team offshore» est composé de chargés d’affaires suisses):


Dans cet échange entre la responsable du bureau d’UBS de Bâle (Y.R.) et une cadre d’UBS France (S.G.), on apprend que l’employée d’UBS Belgium en charge de la clientèle française est invitée à un événement organisé par UBS France à Strasbourg… où sera présent le «team offshore». C’est-à-dire une équipe de chargés d’affaires suisses, soucieux d’une seule chose: attirer dans la confédération un maximum de fonds de clients étrangers.

Cette employée d’UBS Belgium avait semble-t-il régulièrement des contacts avec ses collègues helvètes lors d’événement organisés par la banque en France. Le 9 novembre 2005, elle devait être présente (un collègue l’a finalement remplacée), avec quatre clients, au théâtre des Champs-Elysées à Paris, où de nombreux chargés d’affaires suisses avaient fait le déplacement à l’occasion d’un concert de l’UBS Verbier Festival Orchestra. S’agissait-il de présenter les premiers aux seconds?

Le nom d’une autre cadre revient dans les documents internes d’UBS que nous avons pu consulter. De 2006 à 2008, elle a été la responsable des «key clients» à Bruxelles, c’est-à-dire des fortunes supérieures à 30 millions d’euros. Elle avait invité trois Belges lors d’un événement «philanthropie» organisé par la banque le 30 mai 2007 à Paris. Un événement où, comme par hasard, étaient présents plusieurs chargés d’affaires suisses, dont Dieter Kiefer, le patron de la banque pour l’Europe de l’ouest, services onshore et offshore.

La «filière lilloise»

A côté de ces contacts occasionnels entre commerciaux suisses et cadres ou clients d’UBS Belgium, le bureau lillois de la banque aurait joué un rôle bien plus structurant de pourvoyeur d’argent frais. Vers la Belgique d’abord, puis la Suisse ensuite. C’est ce que l’on pourrait appeler la «filière lilloise».

Un document suggère d’ailleurs des liens très forts entre le bureau de Lille et UBS Belgium. Il s’agit de la répartition interne à UBS des… loges de l’Opéra de Lille, où s’est tenu, le 24 juin 2004, le concert d’inauguration du bureau lillois d’UBS France. Quatre loges de quatre places et une de six étaient allouées, ce soir-là, au gratin d’UBS Belgium. Le même nombre que celles attribuées à la maison-mère suisse. C’est dire l’importance accordée aux collègues belges…

Ce document reflète la distribution interne à UBS des loges de l'Opéra de Lille lors de l’inauguration du bureau lillois de la banque en 2004. Il suggère des liens très forts entre le bureau d’UBS de Lille et UBS Belgium, qui récolte autant de places que la maison-mère suisse:


Dans le cadre de l’enquête judiciaire en cours sur UBS, en France, le responsable du bureau de Lille, Hervé d’Halluin, a été mis en examen (inculpé) en juillet 2012 pour complicité de démarchage illicite. Selon nos informations, il aurait organisé plusieurs chasses dans le nord de la France en vue de rabattre, vers Bruxelles, des entrepreneurs français tentés de revendre leur entreprise sur le sol belge. Objectif de la manœuvre: éviter légalement de payer les impôts français sur les plus-values réalisées, soit environ 25% du prix de vente. En Belgique en effet, les bénéfices réalisés sur la revente de titres ne sont pas taxés.

Hervé d’Halluin n’a pas souhaité répondre à nos questions. Mais il a témoigné dans le cadre d’un litige concernant un collègue, en mai 2010, devant le conseil des prud’hommes – le tribunal du travail en France. Dans son audition, le banquier déclare avoir «eu connaissance de pratiques de transfert de fonds non déclarés». En particulier de «démarchage actif par des chargés d’affaires suisses de clients français.»

Clients «piqués» aux Français

Hervé d’Halluin a ainsi reconnu avoir participé à «des réunions (…) avec des responsables commerciaux» où était discutée la «mise en œuvre des synergies entre l’activité domestique et internationale». En clair: le transfert de fortunes françaises vers la Suisse. Et ce, souvent via la Belgique. Car l’activité du bureau de Lille portait «essentiellement sur des cessions d’entreprises. Lille est près de la frontière [belge], ils [les entrepreneurs] se délocalisent et vendent après.»

Dans le cadre de ces activités, Hervé d’Halluin ajoute: «J’ai vu des prises de mandat de cession réalisées par des équipes internationales alors qu’elles devaient être effectuées par des chargés d’affaires français.» Autrement dit, des chargés d’affaires suisses se seraient mêlés de la vente d’entreprises françaises sur le sol belge, «piquant» ainsi des clients aux Français.

Ces clients français de la «filière lilloise», rabattus vers la Belgique, font-ils l’objet de suspicions d’infractions pénales? «Certains oui, car il ne s’agit pas seulement d’optimisation fiscale mais d’évasion fiscale à terme, en se servant de la Belgique comme d’un relais, explique un ancien employé d’UBS France. Les entrepreneurs français ont compris le filon que la Belgique offrait. Lors d’une cession, on déclare ce que l’on veut. Et on peut jouer sur cet argument pour négocier le prix. Et derrière la Belgique, il y a la Suisse. Mettez-vous à la place d’un Français qui cède sa société sur le territoire belge. La transaction se fait chez vous, et donc le montant officiel reste en Belgique. Mais une part non déclarée peut très bien s’envoler en Suisse via une sous-évaluation volontaire du prix de cession.» Reste à la justice belge, qui serait en contact avec son homologue française, à confirmer ce scénario.

Chouchou des médias

En 2010 et 2011, UBS Belgium est devenue la coqueluche de la presse spécialisée. Elle a été élue «meilleure banque étrangère du royaume» par le magazine financier Euromoney, et «meilleure banque privée du royaume» par MoneyTalk (supplément du magazine Trends/Tendances). Rien ne semblait pouvoir l’atteindre. Pas même les déclarations explosives d’un journaliste. En avril 2012, Antoine Peillon, auteur de Ces 600 milliards qui manquent à la France (Seuil), avait déclaré au Soir qu’il détenait des preuves d’évasion fiscale organisée par UBS Belgium: «Oui, je peux affirmer qu’il y a eu un démarchage de clients à des fins d’évasion fiscale réalisé au niveau du bureau UBS de Bruxelles (…). Des documents en ma possession le prouvent.»

A l’époque, la justice n’avait pas bougé. De nouveaux éléments l’ont visiblement contrainte à changer son fusil d’épaule.

David Leloup



Quand UBS pistait l’argent frais à Francorchamps

Sur la piste, dans les paddocks et sur les routes qui mènent au circuit, le spectacle est partout. Ces 25 et 26 juin 2005 aux Ferrari Days de Spa-Francorchamps, plus de 400 Ferrari et Maserati provenant des quatre coins d’Europe sillonnent le secteur. C’est ici qu’Etienne de Timary, le directeur du bureau d’UBS à Lyon, a emmené deux de ses plus importants clients. Son objectif? Les faire rêver comme des gamins. Et récolter un max de «net new money». De l’argent frais, dans le jargon.
«Beaucoup de clients potentiels à Lyon sont fans d’automobile et de Ferrari. Cet événement est un des meilleurs que j’ai vécus pour entrer dans l’intimité d’un client. Ça peut être un fantastique vecteur d’argent frais si les invités sont bien choisis et passionnés de voiture», écrit Etienne de Timary dans son compte-rendu de l’événement destiné à ses patrons suisses. «Mon client a pu conduire sa propre voiture sur le circuit de Spa et il a même fait un tour avec un pilote professionnel. La loge UBS avait la meilleure vue sur le virage de l’Eau rouge et était juste à côté du restaurant.»
Résultat des courses? 750 000 francs suisses confiés directement par le client à UBS, qui prélève 3% pour gérer les fonds, soit 22 500 francs. Mais surtout, le client charmé s’est engagé à confier 8,25 millions de francs l’année suivante à son banquier préféré. Cerise sur le gâteau: «Mon client me présentera la plus grosse fortune de Dijon!!»
Sur la piste de l’argent frais, UBS était ce jour-là en pole position.
D.Lp

Enquête publiée dans M... Belgique le 30 mai 2014

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