mercredi 21 mai 2014

Laurette Onkelinx va-t-elle rester ministre toute sa vie?

(c) Belga
Elle bat tous les records de longévité ministérielle. Elle est devenue un monument de la politique belge. A 55 ans, un seul titre manque à son palmarès: présidente du Parti socialiste. Elle y pense, même en ne se rasant pas. Mais Paul Magnette aussi. La guerre de positions est entamée.

Au PS, Laurette, c’est Laurette. Pas une figure presque abstraite, une marque comme peut l’être Elio Di Rupo. Chez elle, dans ce parti qui l’a vue naître, Laurette Onkelinx est un nom commun, un repère. Une caution, aussi. Plus que jamais dans ce gouvernement ambigu pour le peuple socialiste, partagé entre orgueil et préjudice, entre fierté de voir un des leurs au 16, et dépit de l’avoir vu tant concéder pour y aller. Le rempart, ça a été Laurette. Comme toujours depuis 1999 qu’elle est vice-première d’un gouvernement fédéral auquel se mêlent les socialistes, mais plus que jamais depuis 2011 qu’elle est vice-première d’un premier socialiste qui se veut au-dessus de la mêlée.

Au congrès de lancement de la campagne, à Flagey, son discours ferme mais offensif («ça a été dur, mais on a tenu, et puis ça va aller mieux») a d’ailleurs plus touché les cœurs militants que l’antienne robotique d’Elio Di Rupo et que la docte clameur de Paul Magnette. C’est que Laurette Onkelinx ne joue pas seulement juste. Elle joue aussi longtemps. L’histoire politique belge connaît peu de rôles incarnés avec la même constance pendant une durée si longue. Il y a quinze ans qu’au gouvernement fédéral elle défend le message socialiste. Et vingt-deux ans sans interruption qu’elle est ministre. C’est un record qu’en Belgique personne, même les vieux barons catholiques de la Belle Epoque, ne peut lui disputer.

La patronne des socialistes bruxellois est assurée de la prolongation – jusqu’à 2019, ses soixante ans, vingt-sept ans de ministère sans discontinuer! - de son contrat gouvernemental, pour peu que son parti soit de la prochaine coalition fédérale. A cinquante-cinq ans pourtant, Laurette Onkelinx voit arriver le 25 mai comme un tournant de sa carrière. Car en politique, où il faut toujours au moins vouloir avancer pour être certain de ne pas reculer, une longévité pareillement installée peut devenir encombrante. On parierait volontiers que c’est ce que se dit la Schaarbeekoise.

Ce qu’elle vise? Mieux! Mais il y a peu, en Belgique, de plus haut honneur accessible à une francophone qu’un siège de vice-première. Première ministre? Aucune chance. Pas une seule en un millénaire, même en cas d’un toujours moins probable raz-de-marée socialiste. La Flandre a déjà eu tant de mal à accepter le plus rond Di Rupo en 2011. Elle ne l’a jamais vraiment avalé, et n’a même pas encore dégluti. Elle ne voudrait jamais de Laurette Onkelinx, prisonnière pour le coup de ce qui autrement fait son atout: son inflexible ténacité idéologique. Sans parler de ce qu’il faudrait pour convaincre le plus rond susnommé.

AVANTAGE MAGNETTE

La ministre-présidence bruxelloise? Tout au plus une honorable position de repli personnel. Et un piteux exutoire collectif, surtout si le PS n’accède pas aux affaires fédérales, et que Rudi Vervoort s’écrase – il paraît que c’est parti pour, et que la troisième place de Charles Picqué sur la liste régionale n’y sera pas pour rien.
Non, il n’y a que la présidence du parti.

Succéder à Elio Di Rupo, elle y pense. C’est son plan. Depuis longtemps. Elle en a le droit, au nom de ses états de service, vernis de controverse exécutive. De sa popularité, établie depuis des années – voyez notre récent sondage. De son indéfectible complicité avec Di Rupo, qui la choisit dès 1999 comme référente fédérale.

Jusqu’il y a peu, c’était évident pour tout le monde, elle en premier. Rudy Demotte, un temps, s’était discrètement positionné, avant de rentrer dans le rang. Trop tard: Elio Di Rupo lui en tient une rigueur éternelle. Non, décidément, après Elio, ce serait Laurette. Elle redonnerait de la densité à une machine dépolie par le pouvoir. Elle rendrait l’espoir à des militants toisés à longueur de congrès par des techniciens policés. Elle reviendrait au fond après trois lustres de belles formes. Encore dans la force de l’âge, avec du temps - quatre ans de mandat, quatre ans avant les élections communales, cinq avant les législatives-régionales - devant elle, cette année devait être celle de son couronnement. Elle devait.

Car un concurrent a émergé entre le moment où Rudy Demotte a glissé de son escabeau de présidentiable et aujourd’hui. Ce concurrent est déjà installé dans le bureau que Laurette Onkelinx lorgne. Et lui aussi est engagé dans la même course, qui n’autorise qu’un seul vainqueur. Laissons un socialiste bruxellois résumer: «J’avais dit à Laurette qu’elle devait à tout prix empêcher Magnette de monter à la présidence, même comme intérimaire. Elle ne m’a pas écouté, et aujourd’hui, il a pris l’avantage sur elle. Il a pactisé avec Demeyer et Marcourt, donc il aura Liège avec lui. A part si Elio décide que ça doit être elle et personne d’autre, sa seule chance de reprendre l’avantage sur Paul, c’est de faire un énorme score en voix de préférence à Bruxelles» Elle a composé sa liste en conséquence. Et elle serait personnellement avantagée par une défaite collective: une déroute wallonne, et un succès à Bruxelles. Mais le tout est très incertain.

MINISTRE A VIE

Elio Di Rupo éloigné peu ou prou, replié à Mons, exilé à l’international, reconduit au 16, bref, ouvrant sa succession, le PS se déchirerait-il, dans une élection présidentielle aux allures de guerre ouverte, entre Paul Magnette et Laurette Onkelinx? Ce n’est pas une option, ni au Boulevard de l’Empereur, ni dans les Maisons du Peuple. Les socialistes connaissent bien leur Gramsci, qui préférait la guerre de positions à la guerre de mouvement. Au PS, lorsqu’une succession est évoquée, ceux qui bougent, ce sont ceux qui sont déjà morts.

Ils le restent parfois longtemps. Voyez Ernest Glinne à partir de 1981, Anne-Marie Lizin après 1999, Jean-Pierre De Clercq en 2007. Aucun n’avait la carrure de Laurette Onkelinx. Ni son intelligence. Celle-ci lui dit de ne se lancer qu’une fois la course gagnée. Si la ministre des Affaires sociales, au printemps prochain, sort de son box fédéral, c’est parce qu’elle aura tiré la floche présidentielle. Sinon, elle sera ministre pour toujours, ou à peu près. Ad libitum, ou ad nauseam? Les latinistes se déchirent. Les politistes aussi. Les socialistes, encore plus. Mais in petto.

Nicolas De Decker

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