jeudi 5 mars 2015

Karel Vinck : oui, la SNCB peut fonctionner avec moins de personnel



A l’époque de Karel Vinck, la SNCB avait de très bons résultats en matière de ponctualité. Dernier administrateur de la SNCB unitaire, l’homme fut chargé de sortir la société du marasme financier. Tout cela dans un contexte où la SNCB accusait des pertes opérationnelles énormes avec sa filiale ABX. Karel Vinck mit en place le business plan 
« Move » qui devait assurer un retour à l’équilibre financier en 2008. On connaît la suite…


M… Belgique : Comment trouvez-vous le nouveau plan de transport de la SNCB ? Comment expliquez-vous les critiques qui entourent ce plan depuis sa mise en place ?

Karel Vinck : Je ne connais pas le détail du plan, et ce n’est pas à moi de critiquer celui-ci. Ceci dit, et d’une façon plus générale, quand on met un plan de transport en place, sans mettre les moyens financiers qui l’accompagnent, il est normal que les disponibilités financières réduites limitent le plan d’action possible. En somme, on fait du mieux qu’on peut, avec les moyens que l’on a. Discuter d’un plan de transport, sans tenir compte des moyens, cela n’a pas beaucoup de sens.

Selon vous, quelle est l’urgence pour la SNCB ? Et quel est le scénario le plus plausible à court terme ?

K.V. Personnellement, j’estime que l’opérateur SNCB n’a pas la liberté suffisante pour fixer sa tarification. Celle-ci dépend encore trop du pouvoir politique, qui ne prend pas suffisamment en compte l’équilibre entre l’objectif de mobilité et les besoins financiers de l’entreprise en termes d’infrastructures et d’opérations. S’il l’on veut un service et une offre ferroviaires de qualité, il faut les payer à leur juste valeur. Je crois sincèrement que la SNCB devrait avoir plus d’emprise sur la tarification dans une politique d’encadrement de la mobilité qui est de la responsabilité du gouvernement. Un des éléments fondamentaux pour une bonne gestion ferroviaire est la continuité dans le processus décisionnel. Or, en Belgique, on manque cruellement de continuité dans la gestion de nos entreprises ferroviaires car elle dépend trop souvent des changements de majorité politique. La priorité, c’est de permettre à la SNCB d’atteindre l’équilibre entre ses coûts opérationnels et ses revenus, en mettant en place un plan d’investissement tant dans l’infrastructure, le matériel roulant, que les gares, qui refléterait une volonté manifeste de service de qualité. Quand j’ai quitté la SNCB en 2004, la société était restructurée, et l’intention du gouvernement que je souscrivais était de limiter à un minimum l’intervention de l’Etat dans la gestion, afin d’éviter dans la mesure du possible un nouveau déraillement de l’endettement. Cela n’a pas été possible pour beaucoup de raisons, parmi lesquelles les tensions existantes entre les trois nouvelles entités qui ont été mises en place après mon départ. Cette structure n’était absolument pas indiquée pour assurer une gestion efficiente, ce que j’ai fait remarquer en son temps aux responsables. Aujourd’hui, et l’on doit s’en féliciter, il semble y avoir une stratégie commune entre Jo Cornu, le CEO de la SNCB, et Luc Lallemand, le CEO d’Infrabel. C’est la condition sine qua non pour un bon fonctionnement de l’entreprise et pour la mise en place d’une réelle complémentarité entre le gestionnaire d’infrastructure et l’opérateur.

Aujourd’hui, la SNCB compte en son sein 33 000 personnes. Selon vous, quel doit être l’effectif idéal pour un bon fonctionnement d’une entreprise ferroviaire comme la SNCB. Pendant votre mandat, vous misiez sur 32 000 personnes. Est-ce toujours le cas ?

K.V. : Aujourd’hui, je reste persuadé que le groupe ferroviaire, incluant Infrabel et la SNCB, peut fonctionner dans ce cadre de 32000 personnes. Peut-être même moins, en faisant appel aux possibilités technologiques disponibles. Comme j’en ai fait l’expérience dans de nombreuses entreprises, à l’occasion de restructurations nécessaires, la recherche d’une efficacité optimale a, par après, créé de l’emploi direct et indirect.Pourquoi en serait-il autrement à la SNCB ? Ceci dit, on ne doit pas toucher au personnel opérationnel : conducteur, agent, technicien… Il faut même le remplacer, voire augmenter leur nombre si les opérations l’exigent. Par contre, pour le reste du personnel qui n’est pas directement opérationnel, il faudra que la direction du groupe SNCB se montre extrêmement exigeant sur son nombre.

Sur le climat social, comment le jugez-vous ? Doit-on craindre de graves conflits entre direction et travailleurs ?

K.V. : On est arrivé à une situation telle que les méthodes classiques de négociation ne correspondent plus aux exigences opérationnelles de l’entreprise. Je ne vois aucun inconvénient à ce que la ministre Galant reprenne l’initiative de la concertation sociale suivant des critères nouveaux qui doivent nécessairement être avalisés par le pouvoir politique. Contrairement à l’époque où je dirigeais le SNCB, les leaders syndicaux semblent aujourd’hui moins contrôler leurs troupes. On sent plus de flottement aussi, d’où le sentiment d’instabilité permanente. Pourtant, plus que jamais, le dialogue est essentiel pour trouver entre direction et travailleurs des objectifs communs à atteindre dans le cadre du service public à garantir.

En 2015, quels sont, selon vous, les points faibles du rail belge ? Est-il en retard sur d’autres réseaux européens ?

K.V. : Aujourd’hui, au niveau européen, notamment en matière d’infrastructure, Infrabel est bien placé dans le peloton de tête. Depuis le malheureux accident de Buizingen, un travail énorme a été effectué parce que les politiques ont pris leurs responsabilités. Au niveau de l’opérateur SNCB, c’est beaucoup plus difficile quand on compare l’offre et les services présents dans d’autres pays. A mon avis, des efforts considérables doivent encore être faits tant dans les opérations que dans les investissements. La direction actuelle s’y emploie, d’après ce que je lis. Mais prenons un exemple criant : la gare du Midi, porte d’entrée de beaucoup d’étrangers en Belgique et à Bruxelles, est à moitié terminée. 

Propos recueillis par Pierre Jassogne
pierre.jassogne@mbelgique.be


lundi 23 février 2015

Le mystère des fissures évaporées de Tihange 2

EXCLUSIF

La ligne oubliée du rapport de l’AFCN: quelle taille
maximale dans la partie basse du réacteur?


Presque mieux que celui de la Lettre Volée: voici le Mystère des Fissures Evaporées. Ou plutôt des données, des valeurs techniques qui se sont apparemment envolées du rapport de l’Agence Fédérale de Sécurité Nucléaire concernant l’état des réacteurs de Tihange 2 et de Doel 3.


© Belga

Tout comme dans l’énigme d’Allan Poe, l’anomalie n’attire pas forcément illico l’attention.
Ce qui a sauté aux yeux, lors des premières fuites parvenues à nos confrères du Soir, c’est la dimension des flocons d’hydrogène, communément appelées microfissures: jusqu’à désormais 9 cm dans la partie inférieure du réacteur de Doel 3.
Mais l’étrangeté cachée est, dans le tableau statistique reprenant la taille maximale des microfissures dans les deux centrales actuellement à l’arrêt, l’absence de tout chiffre, de tout résultat pour la partie basse (“lower core shell”) de Tihange 2.
Des “data” censées n’être pas encore connues selon le tableau ad hoc.

Le hic, c’est que, dans un autre calcul, le rapport de l’AFCN fait pourtant bel et bien état de la…moyenne des tailles des microfissures de la même partie basse de Tihange 2. Une pièce de métal considérée comme fort bien forgée- comme qui dirait théoriquement approuvée par le Dieu Vulcain- avec un nombre de “flocons d’hydrogène” jugé assez normal (80/85)
En 2014, selon la nouvelle méthode approfondie de détection des défauts, la moyenne –on insiste sur ce mot, la moyenne- des 85 microfissures répertoriées serait de 15,5mm/15,4 mm

D’ou deux questions toutes bêtes:

1. Comment diable a-t-on pu établir une moyenne des microfissures du “lower case shell” de Tihange sans disposer des tailles de celles-ci?
2. Mais où sont donc passées ces valeurs, surtout la taille de la plus grande fissure?

Pour faire encore plus simple, disons que la valeur maximale du “lower core shell” de Tihange 2 est étonnamment manquante des documents de l’AFCN.
C’est l’énigme de la ligne manquante. On a fait une moyenne mais sans reporter pour autant les valeurs maximales qui ont servi au dit calcul.
Reprenons le tableau, celui-là complet, de la “moyenne” des fissures à Doel 3 et Tihange 2?

Qu’y remarque-t-on? Que, dans les deux centrales, les valeurs moyennes des tailles des fissures sont plus fortes dans le “lower core shell” (bas du réacteur) que dans le “upper core shell” (le haut du réacteur, là où a sans doute lieu une moins grande activité du réacteur).

Question un brin dérangeante: se pourrait-il donc que les microfissures s’accroissent avec le temps qui passe? (on vous passe les détails scientifiques, mais ce qu’on appelle le “flux neutronique” est sans doute plus élevé dans le bas que dans le haut d’un réacteur) Vous suivez? Car c’est le moment d’en revenir à l’oubli, à la distraction, au petit rien, bref à l’étonnante ligne manquante du rapport de l’Agence Fédérale de Sécurité Nucléaire.

Quelle est diable la valeur maximale de taille dans la partie basse (lower core shell) de Tihange 2? Se pourrait-il qu’elle soit si gênante, si ennuyeuse qu’on l’ait ainsi oubliée? Ce n’est qu’une question, mais elle est légitime. Car en découle une autre interrogation: si les microfissures devaient suivre un mécanisme de croissance avec le temps, se pourrait-il que ces flocons d’hydrogène se développent jusqu’à une taille en mode ouhlala surprise-surprise. Se pourrait-il que cela fragilise progressivement le réacteur?

On ne crie pas pour autant au loup: mais ce serait tout de même bien que l’AFCN retrouve sa ligne manquante.

Sûrement une erreur de dactylo, boss?

Michel HENRION