jeudi 8 mai 2014

Comment voter pour leur faire mal

(c) Fabien Mallet
Il y a ceux qui voient le vote comme un acte de soutien, ou d’adhésion. Il y a aussi ceux qui se servent de leur voix pour nuire. Encore faut-il le faire de manière rationnelle. Le vote de rejet, mode d’emploi.

Haïr, c’est bien, détruire c’est mieux. Une école de la science politique, à la suite de l’Américain Anthony Downs, considère le comportement électoral comme un choix rationnel. L’électeur, informé des propositions des partis et mobilisé sur certains enjeux, accomplirait un acte intéressé. Il choisirait le parti qui l’assurerait des plus fortes rétributions. C’est ainsi qu’un chômeur voterait pour le parti le plus opposé à la limitation de ses allocations, un enseignant pour celui qui veut le moins de coupes budgétaires, un ouvrier pour celui qui lui promet des congés payés, etc.

Critiquée de toutes parts, notamment par ceux qui estiment les positionnements politiques déterminés par l’appartenance sociale et/ou idéologique, l’école du choix rationnel a néanmoins l’avantage de ne pas négliger la haine comme vecteur de sélection électorale. Le vote de rejet, particulièrement dans des moments et vis-à-vis de personnalités clivantes, a aussi de l’importance. La France, présidentielle et bipolaire, en a presque fait un mode de gouvernement. La Belgique l’a expérimenté, notamment à cette fameuse élection partielle de 1937 qui vit s’affronter Léon Degrelle et le premier ministre catholique van Zeeland, soutenu par toutes les forces démocratiques, ou lors de l’Affaire royale.

Mais l’école du choix rationnel n’aborde le rejet, aussi bien que l’adhésion, que comme un comportement réfléchi: on ne vote contre que par calcul, pas par détestation. Or il y a d’autres raisons qu’arithmétiques à vouloir à tout prix nuire à un candidat ou à un parti. Elles tiennent à la nature autant qu’à la culture, à l’inné autant qu’à l’acquis, et relèvent plus de la psychologie que de la politologie. Cela n’empêche pas une haine, même irrationnelle, de devoir s’exprimer rationnellement.

Dans un régime démocratique proportionnel, fédéral de surcroît, caractérisé par le multipartisme et les coalitions hétéroclites, cela demande une réflexion plus fine qu’en système majoritaire à deux tours. L’électeur ne vote qu’une fois, alors qu’il doit considérer les deux tours, celui du jour du scrutin, et celui des négociations. Le vote utile est souvent un vote subtil. Il lui faut donc réfléchir avant d’haïr. Le journal qui n’est pas là pour plaire est là pour l’y aider.


Pour nuire à un parti

Contre le PS, votez MR !
Le PS et le MR se renforcent de la diabolisation de l’autre. Ces invectives, très largement intéressées, sont évidemment bien moins sincères que les antagonistes ne le clament, habitués qu’ils sont à gouverner ensemble. N’empêche, pour le PS, une vraie victoire du MR est toujours une authentique défaite. Plus que ne le serait un triomphe du PTB. Celui-ci ne ferait que rendre arithmétiquement inévitable des coalitions socialistes-libérales à tous les niveaux de pouvoir. Une voix pour le PTB, c’est une demi-voix pour un gouvernement violet. Or le MR, contrairement au PTB, veut gouverner, sans le PS si c’est possible. Peu probable, certes, mais une voix pour le MR reste un tiers de voix pour un gouvernement sans socialistes. Pire qu’une punition pour ces derniers : un drame existentiel. L’autre diabolisation surjouée à laquelle se livre le PS, celle qui fait de la N-VA l’abomination de la désolation, n’est utilisable qu’à Bruxelles, où l’électeur francophone exprimerait intelligemment son antisocialisme en offrant sa voix à la N-VA. Car il lui en faudrait peu pour bloquer la Région-Capitale de l’Europe.

Contre le MR, votez ECOLO !
D’accord, le PP est embêtant pour Charles Michel. Car même s’il n’envoie pas de parlementaire, il pourra prendre au MR les suffrages nécessaires à un siège ou deux, ici ou là. Mais cette petite déperdition sera d’autant moins dommageable qu’à l’avenue de la Toison d’Or on s’y est préparé. Ce à quoi les stratèges réformateurs ne s’attendent pas, en revanche, c’est qu’ECOLO ne s’écrase pas comme annoncé-espéré. Le plan wallon de Charles Michel prévoit en effet un axe PS-MR, duplicata de la coalition fédérale, auquel serait associé le CDH. Les deux autres partis ne sont pas loin de partager l’analyse. Rouges et oranges ne comptent déjà plus sur les verts, même s’ils ne le disent pas. Un sursaut remettrait ECOLO dans le jeu. Or ECOLO est un partenaire possible pour le PS, mais improbable pour le MR. Et vice-versa. Une voix pour ECOLO, c’est donc un tiers de voix contre la montée du MR dans les exécutifs régionaux.

Contre ECOLO, votez CDH !
Qu’ECOLO ne soit pas flambard de ces temps-ci est en un sens réconfortant. C’est la preuve que les verts voient encore clair. Ils savent qu’il leur sera difficile de renouveler leurs baux gouvernementaux, les trois autres partis ont plus de cartes qu’eux dans leurs jeux. Ils pensent que leurs résultats seront médiocres, usés par cinq années d’olivier, rongés par le dynamisme du PTB, grignotés par de nuisibles rouges-verts (VEGA, Mouvement de Gauche, Rassemblement R, etc.). Leur dernier espoir d’être de la partie post-électorale : que les deux grands faiblissent, et que le troisième larron traditionnel, le CDH, s’effondre. Ils pourront alors se faire valoir auprès des socialistes et des réformateurs. Que les humanistes se maintiennent, ou même qu’ils gagnent voix et sièges, et les écologistes se retrouveront à coup sur dans l’opposition. Avec à ses côtés un PTB en pleine bourre. Cinq années d’opposition dans l’opposition. Mortel. De la dynamite dans un bulletin centriste.

Contre le PTB, votez MR !
Le PTB croît sur le dos du PS. Il ne persifle que lui, sur l’air bien connu de la traitrise à la classe ouvrière. Faire gagner cette bataille au PS serait-il pour autant si nocif que ça au PTB ? A très court terme, et encore : une victoire du PS, c’est l’assurance de le voir encore à tous les niveaux de pouvoir. Donc de le voir se compromettre avec des formations de droite. Donc d’encore trahir la classe ouvrière. Refrain utile, carburant à répétition pour la gauche de la gauche. Donner sa voix au PS pour étouffer le PTB, c’est faire croquer une gousse d’aïl à un pue-du-bec : une mauvaise diversion, pas un remède. Le moyen de nuire durablement au PTB ne réside pas dans le renforcement électoral du PS mais dans son affaiblissement gouvernemental. Rien de pire pour la gauche de la gauche que de voir la gauche molle se muscler dans l’opposition. Le PS y monopoliserait la contestation antigouvernementale aux dépens du PTB. Et comme en Belgique francophone, le vote MR est le seul utile – et encore - pour barrer l’accès du pouvoir au PS, ce 25 mai, voter MR, c’est ruiner le PTB. Et, à moyen terme, requinquer le PS.

Contre le CDH, votez ECOLO !
Benoît Lutgen est dans un fauteuil : son parti est, comme l’ancien PSC –quoiqu’en beaucoup plus petit- au centre du jeu. Grâce, d’une part, à son lien avec le CD&V en Flandre, qui lui garantit une place dans le gouvernement fédéral. Et grâce, d’autre part, au fractionnement annoncé du paysage francophone, qui poussera les deux grands partis, annoncés peu fringants, à s’allier en s’en adjoignant un troisième pas trop exigeant. Les deux conditions se renforçant mutuellement, on comprend l’aise du Bastognard et de ses ouailles. Une grosse perte de voix et de sièges pourrait même ne pas lui être préjudiciable, à condition qu’elle ne profite qu’aux deux grands ou aux petits extrêmes, de droite et de gauche. Si elle profite à ECOLO, Benoît Lutgen pourrait se retrouver tricard. Parce que les deux grands seraient alors contraints de d’abord négocier avec les verts. Et que ceux-ci pourraient être tentés d’accepter sans pour une fois trop faire de caprices. Ne serait-ce que pour laisser au CDH le privilège d’essayer d’en placer une, dans l’opposition, à côté d’un PTB, on l’a déjà dit, au taquet.

Contre la N-VA, votez MR !
On l’a compris, N-VA et PS se plaisent à s’insulter, aucun n’est concurrent, chacun en profite chez lui, bienvenue dans la Belgique fédérale. Mais ces invectives ne sont pas pour la N-VA que d’un intérêt électoral. Elles lui sont aussi fonctionnellement utiles. Un PS fort en Belgique francophone face à une N-VA haute en Flandre, c’est en effet la garantie d’un blocage pérenne de l’échelon fédéral (remember les 541 jours), tandis que les gouvernements régionaux, eux, fonctionneraient avec fluidité. Et pour un parti confédéraliste, c’est de la propagande par le fait. La preuve qu’il faut gonfler des pouvoirs régionaux efficaces et ratiboiser un Etat fédéral pétrifié. A contrario, un paysage politique N-VA compatible, donc qui pencherait plus qu’aujourd’hui vers la droite, serait une mauvaise nouvelle pour Bart De Wever, contraint qu’il serait de faire fonctionner un pays qu’il veut détruire. Voilà pourquoi il fait campagne pour le PS en enjoignant les francophones à voter MR. Et voilà pourquoi les francophones qui lui veulent vraiment du mal devraient le prendre au mot.


Pour nuire à un candidat

Pour nuire à Elio Di Rupo
Ceux dans le Hainaut qu’Elio Di Rupo indispose gagneraient à voter MR. Parce qu’il espère pulvériser tous les records de voix de préférence dans sa circonscription, parce que le PS y perdra à coup sur un siège (la Province enverra un député de moins à la Chambre) et qu’à partir de deux sièges perdus on pourra parler d’une défaite personnelle, et parce que le plus proche, en 2010, de prendre un siège au PS était le MR. Ceux qu’Elio Di Rupo horripile partout ailleurs opteront pour le PTB, parce que sa stratégie belgicaine du « sans nous, ça serait pire » a fait avaler au PS des concessions qui indisposent sa base.

Pour nuire à Laurette Onkelinx
Ceux dans la capitale que Laurette Onkelinx énerve gagneraient à voter pour Didier Reynders à la Chambre, et pour Joëlle Milquet à la Région. Parce qu’elle fera la course aux voix de préférence, et qu’elle s’est construit une liste faible pour profiter de l’effet d’aspiration, parce que Bruxelles, dont elle dirige la fédération socialiste, sera un des nœuds de l’après-scrutin, et que l’y voir descendre sous les quatre députés serait une humiliation. Les Carolos que Laurette Onkelinx insupporte doivent soutenir Paul Magnette, parce que les prétendants socialistes à la succession d’Elio Di Rupo compareront leurs résultats personnels

Pour nuire à Paul Magnette
Ceux qui ne peuvent pas sentir Paul Magnette devraient voter PTB. Partout en Wallonie, mais surtout chez lui, à Charleroi. Parce qu’il a jusqu’à présent toujours progressé en voix de préférence et qu’il n’aura ici pas de rival, parce qu’hormis un siège dépendant de l’apparentement il faudra beaucoup pour que le PS descende sous les quatre députés régionaux carolos, et parce qu’il est censé donner un souffle nouveau à la gauche de gouvernement.
Ceux à Bruxelles qui ne peuvent pas voir Paul Magnette choisiront Laurette Onkelinx.
Parce qu’elle est l’autre présidente en puissance du PS.

Pour nuire à Rudy Demotte
Les Picards qui haïssent Rudy Demotte voteront utilement pour Jean-Luc Crucke (MR). Parce que dans sa circonscription les équilibres sont sans danger pour le PS, parce que son duel à distance avec Jean-Claude Marcourt s’arbitrera aux voix de préférence, parce que Philippe Mettens ne se présente pas.
Ceux qui partout ailleurs détestent Rudy Demotte doivent soutenir les barons socialistes locaux. Parce que la force relative des tenors socialistes dépend de leur popularité électorale. Di Rupo, Magnette, Marcourt et Demeyer, voire Rudi Vervoort. Oui, Rudi Vervoort. Parce qu’à Bruxelles, Rudy Demotte espère compter sur Laurette Onkelinx.

Pour nuire à Benoît Lutgen
Ceux qui n’apprécient pas Benoît Lutgen seraient inspirés de voter pour Willy Borsus dans l’arrondissement d’Arlon-Marche-Bastogne, pour le MR dans les autres circonscriptions luxembourgeoises, et ECOLO partout ailleurs. Parce qu’il est pratiquement certain de mener son parti au gouvernement fédéral, donc aussi dans les régions, parce qu’il se croyait certain de maintenir ses sièges partout, et surtout dans son fief luxembourgeois, et qu’il espérait même en conquérir un ou deux dans les Parlements régionaux, et parce qu’il était certain de rester le Luxembourgeois le plus populaire.

Pour nuire à Joëlle Milquet
Ceux qui vomissent Joëlle Milquet ont intérêt à voter CDH partout – et surtout à Liège, pour Melchior Wathelet, sauf à Bruxelles, où ils seraient plus utiles à leur haine en se portant vers ECOLO ou le FDF. Parce que même si elle y va sans enthousiasme, un mauvais résultat personnel à la Région bruxelloise l’affaiblirait, parce qu’elle n’a sous sa présidence, jamais gagné d’élections, parce que les quadras du parti, plus à droite qu’elle, attendent le moment de s’en débarrasser et que certains d’entre eux voient le moment arriver.

Pour nuire à Charles Michel
Ceux qui abhorrent Charles Michel devraient voter vert en Wallonie, FDF à la Région bruxelloise, et Reynders à la Chambre. Parce qu’il a promu Vincent De Wolf et Willy Borsus, parce que sa carrière de président dépendra de sa capacité à faire monter les réformateurs dans les gouvernements régionaux, parce que sa circonscription, le Brabant wallon, est gagnée d’avance mais, trop petite, ne permet les records préférentiels, et parce qu’il a fait viser les écologistes par ses fantassins wallons.

Pour nuire à Didier Reynders
Ceux que Didier Reynders révulse voteront opportunément réformateur dans les régions, et donc Vincent De Wolf à Bruxelles, et à voter Onkelinx à la Chambre à Bruxelles. Parce qu’il est entré dans un duel avec Charles Michel dans son parti, où les deux ténors compareront haineusement sièges gagnés à Bruxelles et en Wallonie, parce qu’il est entré dans un duel avec Laurette Onkelinx à Bruxelles, où les deux têtes de listes à la Chambre compareront haineusement leurs résultats personnels, et parce qu’il est entré dans un duel avec Vincent De Wolf dans la fédération bruxelloise de son parti, où les deux têtes de listes réformatrices compareront haineusement leurs résultats personnels.

Pour nuire à Emily Hoyos
Ceux qui n’aiment pas Emily Hoyos ont une très large fenêtre de tir. Chaque suffrage enlevé à son parti, où qu’il aille, lui sera blessant. Ceux qui veulent rester verts se porteront sur la gauche écologiste : Zakia Khattabi et Zoé Genot, par exemple, à Bruxelles. Parce qu’elle n’a pas su choisir entre cibler le CDH, pour s’assurer la place de troisième parti francophone, et cibler le PS, pour conforter son statut de recours à gauche, parce qu’elle n’a pas réussi à faire entendre sa voix parmi celles des présidents de partis, parce qu’en interne les turbulents sont mécontents, mais que les mécontents ne sont pas encore turbulents.

Pour nuire à Olivier Maingain
Ceux qu’Olivier Maingain cabre devront voter Damien Thiéry à la Chambre, et Joëlle Milquet à la Région bruxelloise. Ceux qui y tiennent voteront FDF, mais seulement à la Région, pour Bernard Clerfayt. Parce qu’il y a deux écuries au FDF, et que les canassons de la sienne se nourrissent de la popularité du maître étalon, parce qu’il rue à l’évocation de son ancien allié réformateur, parce que la survie de son parti, dit-il, dépend de son affirmation comme troisième parti régional. En Wallonie, ceux qu’Olivier Maigain débecte devront continuer à ne pas y faire exister son parti. Ils ont le choix.

Nicolas De Decker

2 commentaires:

  1. C'était très bien fait. J'ai aimé.

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  2. En fait dans tout les cas il faut voter Mr..C'est très objectif ! Et le MR il ne va pas s'associer à la Nva pour gouverner le pays?

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