samedi 20 avril 2013

Triodos aussi transite par les paradis fiscaux


EXCLUSIF - Pour financer certains projets, Triodos a créé des structures offshore au Luxembourg et au Panama. La banque citoyenne a aussi investi 8,4 millions d’euros dans six fonds domiciliés aux îles Caïmans, au Delaware et à Maurice. Des placements éthiques et durables, vraiment?


Pour les uns, ce sera un choc. Pour les autres, une demi-surprise. On ne peut certes pas mettre Triodos dans le même panier que la Deutsche Bank (974 entités offshore), BNP Paribas (283), KBC (163), ING (27) ou Belfius (16), dont la «culture offshore» est bien plus ancrée. N’empêche, pour une banque qui calibre depuis des années sa communication en surfant sur l’éthique et le «durable», cela fait mauvais genre...

Depuis 2002, plus ou moins discrètement, la petite banque batave a recours, elle aussi, aux paradis fiscaux pour réaliser certains investissements. Marianne a identifié 13 fonds ou sociétés offshore enregistrés au Luxembourg, au Panama, au Delaware, aux îles Caïmans ou à Maurice, pilotés en tout ou en partie par Triodos, quand la banque n’y investit pas elle-même du capital (voir liste ci-dessous).

Sulfureux, ces territoires? Le Grand-Duché, les îles Caïmans et le Panama ont été épinglés en 2009 par l’OCDE sur sa liste grise des paradis fiscaux non-coopératifs – une liste aujourd’hui quasi vide... Outre qu'elles sont très prisées par les grandes fortunes mondiales pour leurs trusts, qui facilitent la fraude fiscale, les îles Caïmans constituent aussi un terrain de choix pour la criminalité financière et les coups tordus: il y a quelques années, un banquier suisse y a été mystérieusement retrouvé calciné dans son 4x4. L’île Maurice? Qualifiée de «trou noir de la finance» par le juge français Renaud Van Ruymbeke en 2009, car «Maurice protège les titulaires de comptes bancaires et assure leur anonymat, même face à des investigations judiciaires». Idem au Delaware, paradis fiscal et terre d'opacité financière au cœur même des Etats-Unis, où Viktor Bout, le trafiquant d’armes russe surnommé le «marchand de mort» utilisait deux boites aux lettres anonymes pour ses trafics...

Au Luxembourg, qui a toujours bloqué toute initiative européenne d'échange automatique d'informations fiscales (avant d'annoncer un assouplissement il y a dix jours), Triodos a créé pas moins de six fonds d’investissement «durables» logés au sein de deux sociétés d’investissement à capital variable (sicav). Le Triodos Sustainable Bond Fund, par exemple, spécule sur le géant de l’intérim Adecco, le constructeur BMW, une usine grecque d’embouteillage de Coca-Cola, ou encore l’alcoolier Diageo (Johnnie Walker, Smirnoff, J&B...). Ces fonds grand-ducaux ont en tout cas le vent en poupe: il y a quelques semaines, le Triodos Sustainable Pioneer Fund s’est vu décerner le prix La Libre Belgique-De Standaard du meilleur fonds d’investissement socialement responsable, et le Triodos Sustainable Mixed Fund celui du meilleur fonds «mixte modéré euro» attribué par la société Morningstar.

Investissement calamiteux

Au Panama, les choses sont plus troubles. Via son fonds Hivos-Triodos spécialisé dans le financement du microcrédit dans les pays en développement, Triodos a créé, avec d’autres, Banex International Capital Corp (BICC) en novembre 2008. Détenue à 12,1% par la banque éthique, cette coquille offshore a été créée pour détenir les titres de la banque Banex au Nicaragua. Objectif: étendre, via ce QG panaméen, les activités de cette banque à d’autres pays d’Amérique centrale, dont le Honduras. Le choix du Panama? Dicté par la «situation politique volatile du Nicaragua en 2008», selon Gera van Wijk, porte-parole de Triodos aux Pays-Bas...

Cet investissement s’est en tout cas révélé calamiteux: le gendarme bancaire du Nicaragua a sifflé la fin de la récré à l’été 2010 et a définitivement liquidé Banex en août 2012. «Banex a été en mesure de rembourser intégralement les dépôts de ses épargnants locaux», précise toutefois Gera van Wijk. Qui ajoute que ProÉxito, autre institution contrôlée depuis le Panama par BICC, «a également arrêté ses opérations, son portefeuille de prêts ayant été repris par une autre institution financière au Honduras». Quant à BICC, elle a été officiellement dissoute le 24 mars dernier.

A Maurice, au Delaware et aux îles Caïmans, c’est un peu différent. Là-bas, Triodos ne gère pas personnellement des fonds offshore, mais y place du capital. Six fonds en profitent. «Triodos détient une participation minoritaire dans tous ces fonds et n’est souvent même pas représentée au conseil d’administration, précise la porte-parole de la banque. Au total, la banque a investi 8,4 millions d’euros dans ces six fonds offshore.»

Que font ces structures? L’EcoEnterprises Fund II investit, depuis le Delaware, dans des PME en Amérique Latine «qui visent à sauvegarder la biodiversité». Le BRAC Africa Loan Fund, domicilié aux îles Caïmans, investit dans des institutions de microfinance en Afrique de l’Est. L’India Financial Inclusion Fund fait pareil en Inde. Pourquoi est-il enregistré à l’île Maurice plutôt qu’à Mumbai ou Calcutta? «A cause de restrictions dans la législation indienne relative à ce type de fonds, répond Gera van Wijk. En Inde, il faut qu’au moins 25 % du capital d’un fonds provienne d’investisseurs indiens. Un critère difficile à respecter. A Maurice, où le secteur des services financiers est très développé, ce quota n’existe pas.»

Aux Pays-Bas, siège central de Triodos, non plus. Même si ces activités offshore ne représentent qu'une petite fraction des investissements de Triodos, en recourant à ces territoires opaques et criminogènes, la banque éthique ne leur donne-t-elle pas de la légitimité? En y payant des taxes gouvernementales et en rémunérant des intermédiaires locaux qui y administrent les fonds, ne les renforce-t-elle pas économiquement?

David Leloup


Les 13 structures offshore gérées ou investies par Triodos

Îles Caïmans
BRAC Africa Loan Fund (2009)

Delaware
MFX Solutions LLC (2009)
EcoEnterprises Fund II (2012)

Maurice
Africap Microfinance Investment Company (2002)
India Financial Inclusion Fund (2008)
Leapfrog Financial Inclusion Fund (2008)

Luxembourg
Triodos Renewables Europe Fund (2006)
Triodos Sustainable Bond Fund (2007)
Triodos Sustainable Equity Fund (2007)
Triodos Microfinance Fund (2009)
Triodos Sustainable Mixed Fund (2010)
Triodos Sustainable Pioneer Fund (2010)

Panama
Banex International Capital Corp (2008-2013)



De nouvelles informations nous étant parvenues après le bouclage du magazine, une version plus courte de cette enquête (mentionnant 10 structures offshore au lieu de 13) est publiée dans Marianne ce samedi en kiosque et en version électronique sur GoPress.be.

vendredi 12 avril 2013

L’offshore secrète des van Zeeland à Panama

 
EXCLUSIF - L’ex-Premier ministre Paul van Zeeland a été actionnaire d’une société offshore créée en 1946 au Panama. Sa petite-fille Catherine, membre du cabinet de Joëlle Milquet, est administratrice de cette coquille depuis 2005. Elle affirme n’en avoir tiré aucun profit. Un compte chez ING au Luxembourg a été régularisé en 2010, mais l’offshore est toujours en vie aujourd’hui.

C’est l’histoire d’un secret de famille bien gardé. Qui n’a même jamais suinté. L’histoire d’une fraude fiscale silencieuse, aux accents claniques, qui apparaît s’être étalée sur plus de 60 ans. Au cœur de l’intrigue, une société offshore créée en 1946 par un ancien Premier ministre. Légué dans la plus grande discrétion à ses enfants, cet encombrant « cadeau » explose aujourd’hui à la figure de sa petite-fille, une proche de la vice-Première Joëlle Milquet. Et au visage de la Belgique tout entière.

Dans le rôle – involontaire – du schtroumpf farceur, un monument de la politique belge : Paul van Zeeland. Premier ministre (1935-1937), ministre des Affaires étrangères (1949-1954), sénateur catholique et bourreau électoral du rexiste Léon Degrelle (lors d’une élection législative partielle en 1937), Paul van Zeeland participera entre autres à la création de l’OTAN, de l’OCDE et de la CECA. Un homme d’Etat.

Celle qui encaisse la déflagration, c’est Catherine van Zeeland. Elle s’est lancée en politique sur les traces de son illustre grand-père lors des élections communales de 2000 à Forest. Elue échevine PSC des travaux publics et de l’urbanisme, elle se représentera sur les listes en 2006 (communales), 2009 (régionales), 2010 (fédérales) et 2012 (communales). Conseillère communale cdH à Forest, elle est surtout proche de la vice-Première ministre et ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances, Joëlle Milquet, dont elle est membre du cabinet depuis cinq ans au sein de la cellule stratégique Egalité des chances.

Flashback. Le 17 septembre 1946, la Compañia de Servicios y Consejos S.A. (en français : Compagnie de services et de conseils) est portée sur les fonts baptismaux au Panama, un paradis bancaire et fiscal. Des documents du Registre des sociétés panaméen, que Marianne s’est procurés, permettent de brosser un portrait épuré, mais néanmoins édifiant, de cette offshore qui traversera imperturbablement la seconde moitié du 20e siècle.

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Une enquête (5 pages) à lire dans Marianne ce samedi en kiosque, ou en version électronique sur GoPress.be.

 

samedi 6 avril 2013

Armes, pétrole, banque pourrie : le sulfureux client milliardaire de Marc Verwilghen


EXCLUSIF. Avant de quitter le Sénat en 2010, Marc Verwilghen a discrètement rejoint le conseil d’administration de la General Mediterranean Holding, société luxembourgeoise qui détient les clés de l'empire financier de l'homme d'affaires d'origine irakienne Nadhmi Auchi. Ancien intermédiaire dans des ventes d’armes et de pétrole, ce sulfureux milliardaire a été condamné en 2003 en France à 15 mois de prison avec sursis et 2 millions d'euros d'amende pour «abus de biens sociaux» et «recel» dans l’affaire Elf. Une condamnation confirmée en appel (2005) et en cassation (2007). Entre 1982 et 1994, la General Mediterranean Holding détenait 40% de la Banque Continentale du Luxembourg, laquelle a abrité les comptes de dictateurs notoires (Mobutu, Kadhafi, Saddam Hussein, Bokassa, etc.) et des comptes qui ont financé la tristement célèbre Radio Mille Collines, qui a joué un rôle clé dans le génocide rwandais...

Une enquête (5 pages) à lire dans Marianne, ce samedi en kiosque ou en version électronique sur GoPress.be.

 

vendredi 22 mars 2013

RTBF : la révolte des pigistes

(c) Cyrus Pâques
Ils ont entre 25 et 55 ans, sont journalistes, caméramans ou techniciens audiovisuels. Depuis des années, ils nous informent via les journaux et magazines de la RTBF. Aujourd'hui, dans une carte blanche publiée sur notre site, ils dénoncent leur «précarité organisée» au coeur même du service public. Leurs droits sociaux et la qualité de l'information sont en jeu, préviennent-ils. La direction de la RTBF pourra-t-elle encore ignorer longtemps les revendications de ces «forçats de l'info»? Voici l'appel des «pigistes à durée indéterminée» à la direction de la RTBF. 


«Dans une interview au sujet du contrat de gestion 2013-2017 (Journalistes n°144, janvier 2013), Jean-Pierre Jacqmin, directeur de l'information à la RTBF, répondait par ces mots à la question de savoir si la RTBF faisait un appel croissant aux pigistes: «Ce n'est pas une volonté structurelle mais comme le cadre est très juste, dès qu'une personne est absente, on doit recourir à des pigistes...»

En tant que pigistes à la RTBF, nous souhaitons réagir à cette affirmation. Oui, la RTBF recourt à du personnel sous statut précaire: un recours d’ailleurs tellement fréquent et constant qu'il reflète bien, sans aucun doute, une volonté structurelle.


En décembre dernier, le site RTBF 89 publiait le témoignage anonyme d’un pigiste de la RTBF. Ce texte accuse la politique des ressources humaines du service public. Une politique qui causerait de «nombreuses souffrances» au sein du personnel et cantonnerait les journalistes «au statut de pigiste longue durée».


Cette lettre relate une réalité que chaque membre du collectif signataire du présent texte vit depuis souvent plusieurs années. Des contrats RTBF à la journée, soigneusement entrecoupés de contrats passés via une agence d'interim (ayant un bureau au sein-même de l'entreprise publique). Objectif: éviter que cette succession de petits contrats n'ouvre un quelconque droit à un contrat à durée indéterminée...

Le système est bien organisé, et pour cause: loin d'être de petits remplacements occasionnels, ces piges sont nombreuses et occupent souvent la plus grosse partie de l'emploi du temps de ceux qui les prestent.

Ce statut de «pigiste à durée indéterminée» comporte d'autres désavantages que le simple fait de ne pas offrir de stabilité d'emploi, de ne pas donner droit aux mêmes remboursements de frais que nos collègues engagés, ou d'être une porte ouverte à des retards intempestifs de paiements de primes et notes de frais. Il rend les pigistes vulnérables en ne leur permettant pas de s'exprimer librement, et en les mettant en concurrence les uns avec les autres. « Si tu n'es pas content, tu peux aller voir ailleurs.»

Ce statut crée aussi deux catégories de travailleurs: ceux qui ont droit à des jours de récupération et ceux qui n’y ont pas droit, et ce pour un même poste de travail. Diviser pour régner semble d'ailleurs être la seule politique des ressources humaines appliquée à l'ensemble du personnel de la RTBF, qu'il soit pigiste, contractuel, ou statutaire.

Nous ne savons pas combien nous sommes de pigistes au sein de la RTBF. Certains d'entre nous  travaillent depuis si longtemps sous ce statut qu’aucun de nos collègues ne s’imaginent que c’est sans un contrat digne de ce nom. La direction générale des Ressources humaines refuse la transparence et refuse de communiquer le cadastre des pigistes, notamment aux organisations syndicales. Les contrats «pigistes» à la RTBF, ce sont une trentaine de journalistes «info» mais aussi des dizaines et des dizaines de travailleurs précarisés dans l’ensemble des métiers: cameramen, preneurs de son, scriptes, cantinières, régisseurs, etc...

Le défaut ou l'absence d'un management humain ambitieux se marque aussi, comme l'exprimait la «bouteille à la mer» de notre confrère, au sein du personnel à durée indéterminée. De petites faveurs sont attribuées ici et là, et génèrent des rancœurs et frustrations. Le manque de transparence financière (notamment pour la réalisation de certaines émissions), le recours à l'externalisation (intéressée?) de certains postes ou l’arrivée massive d’experts en tous genres aux côtés d’une direction déjà bien fournie instaurent une ambiance délétère où programmes, productions, travailleurs, tout n'est que concurrence.

On n'arrive pas par hasard à la RTBF. C'est souvent un rêve, une certaine idée du métier, le souvenir de grandes figures de la télé, de grandes voix de la radio et d'émissions mythiques qui amènent à pousser la porte de «la maison»... C'est pour la plupart l'amour d'un métier et la conscience de l'importance des missions de service public. La volonté de participer, de contribuer à une information de qualité qui fait, notamment la fierté et la réputation de l’entreprise.

Que nous choisissions de partir un jour, ou de rester coûte que coûte, nous voulons en tout cas espérer que la direction et le Conseil d'administration de la RTBF pourront tenir compte du malaise dénoncé dans ces lignes. Cela pourrait passer par rendre public le cadastre des pigistes employés par la maison: «les petites mains». Ce geste aurait au moins déjà un mérite: celui d'offrir un peu de reconnaissance à ces travailleurs de l'ombre. Mais surtout, nous demandons la fin des manipulations et des jongleries en matière de législation sociale. L’engagement de pigistes de manière structurelle pendant de longues années n’est plus acceptable.

Espérons également que cet appel puisse être l'ébauche d'une nouvelle technique de management, plus responsable, plus durable.
»

Un collectif de pigistes (dés-)amoureux de la RTBF

Découvrez dès ce samedi 23 mars dans le nouveau numéro de Marianne notre dossier sur la révolte des pigistes à la RTBF, mais aussi dans d'autres médias. Un dossier réalisé par David Leloup en collaboration avec Pierre Jassogne.

jeudi 28 février 2013

Pour Caterpillar, les intérêts notionnels représentent une «prime» de 15.000 euros par travailleur licencié

(c) Belga

Ces cinq dernières années, Caterpillar Belgium S.A. et sa société-sœur Caterpillar Group Services S.A. ont déduit, ensemble, plus de 70 millions d’euros d’intérêts notionnels de leurs bénéfices imposables, évitant ainsi légalement de payer 23,9 millions d’euros d’impôts nets à l’Etat belge. Ce matin, la multinationale américaine spécialisée dans les engins de génie civil établie à Gosselies, au nord de Charleroi, annonçait qu'elle allait se séparer de près de 1.600 personnes: 1.100 ouvriers, 300 employés et cadres, et 190 contrats à durée déterminée.
Les esprits mal tournés auront vite fait le calcul: le cadeau fiscal des intérêts notionnels, mesure non conditionnée à l’emploi, correspond en quelque sorte à une «prime», offerte par le gouvernement à Caterpillar, de plus de 15.000 euros nets par travailleur licencié...
D.L.



Un arrondissement judiciaire bicéphale, à Mons et Charleroi : voilà le compromis que les ministres hennuyers vont défendre



(c) Belga

Les Carolos avaient craint d’être lésés au profit de Mons par le redécoupage de la carte judiciaire piloté par la ministre de la Justice Annemie Turtelboom. Un compromis hennuyer a été trouvé : comme toutes les autres provinces, le Hainaut ne comptera qu’un seul arrondissement judiciaire. Mais celui-ci aura deux sièges, à Charleroi et à Mons.

Ce vendredi, le conseil des ministres, en kern, discutera de la réforme des arrondissements judiciaires que compte boucler la ministre Turtelboom. L’idée de départ est claire : ne garder qu’un arrondissement par province, un à Bruxelles, et un pour la communauté germanophone, soit douze pour le pays. Dans le Hainaut, le plus gros arrondissement, celui de Charleroi, s’en trouverait lésé au profit de Mons, siège de la cour d’appel, chef-lieu de la province… et cité d’élection du Premier ministre.

Au Pays Noir, tous, avocats, magistrats debout et assis, et hommes politiques, s’étaient dressés pour s’opposer à la proposition, réécrite à plusieurs reprises. Il faut dire que l’arrondissement carolorégien est bien plus peuplé que ceux de Mons et Tournai, que son barreau est plus fourni,… et qu’il envoie bien plus de justiciables à la cour d’appel montoise.

Le MR, à l’invitation du ministre carolo Olivier Chastel, avait même réclamé que le siège unique de l’arrondissement hennuyer soit implanté dans la plus grande métropole wallonne. Les socialistes carolos, Magnette en tête, en avaient été pour le coup embarrassés : la revendication réformatrice (et carolorégienne), pour légitime qu’elle soit, était difficilement défendable devant le bourgmestre de Mons…

N’empêche, après des mois de discussions, les Hennuyers, premier ministre compris, se sont mis d’accord pour défendre un compromis : le Hainaut ne compterait plus qu’un seul arrondissement judiciaire, avec un seul président pour chaque tribunal (correctionnel, du travail et du commerce), mais, nuance importante, avec deux sièges.

Concrètement donc, le président aura deux bureaux, pour une seule adresse. Et le barreau de Charleroi restera affecté à son siège historique. Pour le justiciable, rien ne changera. Rien n’aurait changé, quand bien même les Carolos auraient perdu leur siège : les lieux d’audience resteront en place à Tournai, à Mons comme à Charleroi. Mais Charleroi valait bien un combat. Même symbolique. Il faut maintenant que la ministre ne se montre pas étanche aux spécificités hennuyères.

Nicolas De Decker

mercredi 27 février 2013

Amnésique, Willy Borsus ?

La semaine dernière, en séance plénière au parlement wallon, le chef de l'opposition, Willy Borsus (MR) a sorti les chiffres du coût du marché des certificats verts. Des chiffres alarmants puisque ce mécanisme des certificats verts délivrés comme incitants lors d'installation de panneaux voltaïques pourrait coûter au moins 2,5 milliards d'euros à la Wallonie. Beaucoup plus selon le réformateur qui a flingué comme il se doit le mécanisme instauré en 2009 par le ministre Ecolo de l’Énergie, Jean-Marc Nollet. Pourtant, le chef de file des libéraux wallons n'a pas toujours dit cela...

En effet, le 28 septembre 2011, lors de débats parlementaires déjà sur ce sujet électrique des certificats verts, Willy Borsus s'était opposé à l'époque à la proposition du ministre Nollet de diminuer le soutien des certificats verts pour l'installation de panneaux photovoltaïques résidentiels. Le chef de file des réformateurs demandait alors aux partenaires de la majorité de ne pas voter la réforme proposée par le ministre de l’Énergie, mais aussi et surtout il réclamait de ne plus modifier le dispositif de soutien aux certificats verts. « Pouvez-vous au moins, devant cette commission, dire : « Moi, c'est ma dernière modification concernant le photovoltaïque » ? Au moins pouvez-vous prendre cet engagement-là ? », lançait alors Willy Borsus au ministre Nollet.

En 2011 toujours, dans le journal Le Soir daté du 23 juillet, déjà au sujet d'une nouvelle réduction des primes accordées à l’installation de panneaux photovoltaïques, le patron des libéraux wallons s'en était ému : « Dès l’instant où quelque chose marche bien, la Région prend la décision d’en limiter le développement. Par ailleurs, ce nouveau changement du régime des primes met à mal la confiance que le public a dans le système. Or, dans ce domaine, la prévisibilité est essentielle. Désormais, nous n’avons aucune garantie que les choses resteront en l’état après 2012. La décision qui a été prise est en fait le contraire de ce qu’il faudrait faire pour cette énergie qui présente très peu de nuisances environnementales ». 

Amnésie du chef de l'opposition ou mauvaise foi de sa part, le réformateur wallon reste pourtant toujours aussi catégorique pour modifier au plus vite ce mécanisme de soutien des certificats verts et il continue de dénoncer la gestion « erratique » de Jean-Marc Nollet en la matière. « Quand j'ai dit au ministre Nollet qu'il ne fallait pas modifier le système, je lui ai dit qu'il ne fallait pas le modifier comme il le proposait à l'époque en anticipant l'octroi des certificats verts et en accélérant ainsi leur commercialisation. Je ne savais pas alors à quel point ce qu'allait voter le parlement amplifierait le phénomène auquel on est confronté aujourd'hui », explique Willy Borsus à Marianne.

Pour prouver qu'il gardait tout de sa tête, le chef des réformateurs wallons est allé lui-même dans sa boîte à archives pour ressortir le programme électoral des réformateurs en 2009 : à l'époque, le MR dénonçait déjà le coût des certificats verts et l’évolution exponentielle de ce coût s’il n’était pas évalué. Pas d'amnésie, donc. Dommage seulement qu'il ait fallu attendre quatre ans pour que l'opposition puisse évaluer le coût des certificats verts, estimés aujourd'hui à 2,5 milliards d'euros, qui vont peser finalement sur les finances régionales.

Pierre Jassogne

dimanche 24 février 2013

Les sept cailloux dans la chaussure de Van Cau



© Belga
Reconverti en peintre paysagiste carolo-provençal, l’ex-ministre-président wallon et ancien bourgmestre socialiste de Charleroi, Jean-Claude Van Cauwenberghe, est actuellement au centre de diverses procédures judiciaires. Demande de renvoi devant la Cour d’appel, à Liège. Poursuite d’autres enquêtes, à Charleroi. Pris en tenaille, Van Cau? L’homme crie à l’acharnement.

Mais quels sont donc les cinq dossiers judiciaires pour lesquels le procureur général de Liège, Christian De Valkeneer, souhaite faire comparaître Jean-Claude Van Cauwenberghe devant la Cour d’appel de la Cité ardente? Le dossier «Immo Congo» et celui dit «du hall omnisport de Beaumont» ont été cités par La Libre Belgique. Le JT de la RTBF a, pour sa part, évoqué un troisième dossier lié à des pressions qu’aurait exercées l’ex-homme fort de Charleroi pour l’octroi d’un subside régional aux Chantiers navals de Thuin…

Sur la base de divers recoupements, Marianne Belgique peut aujourd’hui révéler la nature de ces cinq dossiers, qui en réalité sont au nombre de… sept. Cinq font donc l’objet d’une demande formelle de renvoi devant un tribunal, mais il faut avant ça que la commission des Poursuites du Parlement wallon donne son feu vert.

Mais deux autres dossiers seraient toujours à l’instruction à Charleroi. Il s’agirait du dossier «Sodexo» et de l’«affaire Wagner». Pourquoi n’ont-ils pas rejoint Liège comme les cinq autres? Les faits reprochés à JCVC auraient été essentiellement commis sous sa casquette de mandataire communal de Charleroi, et non de ministre. Il n’y aurait donc aucune raison de les transférer à Liège, où la Cour d’appel est seule compétente pour juger les ministres – actuels ou anciens. Une version que contesteraient les avocats de Van Cau.

Le point sur ces sept dossiers qui s’accumulent comme autant de cailloux dans la chaussure de l’ancien ministre-président wallon. Se mueront-ils en grains de sable ou en encombrants galets? Notez les conditionnels et les nombreux points d’interrogation, les enquêtes au long cours n’ayant pas livré leur verdict judiciaire et la présomption d’innocence étant de mise.


1. Dépenses douteuses en Chine
Le pitch. Van Cau aurait réalisé des dépenses douteuses lors d’un voyage officiel en Chine. Il s’agirait d’une mission économique réalisée en novembre 2004 en compagnie du Prince Philippe, du ministre fédéral de l’Economie Marc Verwilghen, de la ministre flamande de l’Economie Fientje Moerman, et du ministre-président de la Région bruxelloise Charles Picqué. Une mission hors normes de huit jours, forte de 500 personnes représentant quelque 200 entreprises et organismes belges. Elle est passée par Pékin, Shanghaï et Guangzhou.
La procédure. C’est le dossier «surprise», instruit dans la plus grande discrétion.


2. Fournitures de mobilier au gouvernement wallon
Le pitch. Le parquet soupçonne Jean-Pierre Paquet, ami et architecte de Van Cau, d’avoir surfacturé des fournitures de mobilier à l’Elysette, siège namurois du gouvernement wallon, à l’époque où JCVC présidait la Région. Ces surfacturations auraient été réalisées par la SPRL Arcade, société carolo d’aménagement et de décoration gérée par Paquet, qui fut par ailleurs un des fournisseurs de la ville de Charleroi à une certaine époque. Van Cau s’est exprimé par voie de presse sur ce dossier : il s’agit à ses yeux d’un «faux dossier» et il déplore un «acharnement» du parquet de Charleroi à son égard.
La procédure. Le dossier a été mis à l’instruction début juillet 2009 chez le conseiller Philippe Gorlé de la Cour d’appel de Liège, faisant office de magistrat instructeur.


3. Chantier de Thuin
Le pitch. Le magasin Optique Point de Mire de Thuin fait partie d’une chaîne de magasins de lunettes appartenant aux Mutualités socialistes de Charleroi. Jean-Claude Van Cauwenberghe était administrateur de la chaîne et président des Mutualités. On lui reprocherait d’avoir négocié des marchés à des conditions préférentielles en échange de petits cadeaux. Son ami entrepreneur Michel Vandezande aurait ainsi obtenu un chantier à Thuin contre de menus travaux réalisés gratuitement. Pour Van Cau, la justice se fourvoie, et toute cette affaire ne serait que du vent.
La procédure. A l’instar du dossier «fournitures de mobilier», l’instruction a démarré en juillet 2009 à Liège.


4. Hall omnisports de Beaumont
Le pitch. JCVC est suspecté d’avoir pesé de tout son poids politique pour l’attribution d’un contrat à son ami entrepreneur Michel Vandezande. Il s’agit de la fourniture clé sur porte d’un hall sportif sur le territoire de Beaumont, au sud de Charleroi. Vandezande est le patron d’une entreprise de construction souvent choisie par l’ex-majorité absolue socialiste au pouvoir dans la Métropole.
La procédure. Van Cau a été inculpé de corruption passive en avril 2010 par le magistrat instructeur Philippe Gorlé de la cour d’appel de Liège. Ses avocats ont toujours considéré que la perquisition menée à son domicile en juin 2008 était illégale. Pour l’anecdote, c’est lors de cette «visite» qu’une lettre avait été exhumée derrière un tiroir de sa table de nuit. Le roi de l’immobilier carolo Robert Wagner, un autre favori du pouvoir de l’époque, suggérait à son ami politique de… lui rembourser un voyage aux Maldives (voir l’affaire Wagner ci-dessous).


5. Immo Congo
Le pitch. En 2004, la représentation internationale de la Région wallonne et de la Communauté française avait besoin d’être logée dans un nouvel immeuble à Kinshasa. Un marché public avait été lancé afin de désigner une entreprise belge chargée de prospecter le marché immobilier local. Dans ce dossier, Van Cau serait suspecté de manœuvres ayant permis de désigner, en cours de route, un autre soumissionnaire figurant parmi ses amis, le réviseur d’entreprise Daniel Lebrun. Et cela à la place de celui initialement retenu.
La procédure. Ce dossier avait déclenché une information judiciaire au parquet de Charleroi, en octobre 2006. Il a été soumis aux fourches caudines d’une commission d’enquête parlementaire plutôt accommodante, fin 2006. Puis transmis à Liège en 2009, et mis formellement à l’instruction récemment, semble-t-il.


6. Repas scolaires Sodexo
Le pitch. En 2003, la firme Sodexo est chargée de fournir 740 repas quotidiens aux élèves de l’enseignement communal de Charleroi. Mais un bon tiers des écoliers préfèrent les tartines aux dîners Sodexo, ce qui ne permet pas à la firme de rentrer dans ses frais. Jean-Claude Van Cauwenberghe, qui était alors conseiller communal mais aussi ministre-président de la Région wallonne, a confirmé avoir rencontré « fortuitement » l’un des patrons de Sodexo aux Issambres (Côte d’Azur). Van Cau y possède une maison. Les deux hommes auraient partagé… un repas au restaurant. Selon l’enquête, un arrangement aurait été trouvé pour « compenser » le manque à gagner de Sodexo en permettant à l’entreprise de surfacturer les repas scolaires livrés.
La procédure. Van Cau a été inculpé pour corruption passive et escroquerie en octobre 2011. Il nie totalement les faits qui lui sont reprochés et parle d’acharnement de la justice carolo. En 2008, trois autres personnes ont été inculpées, dont l’ex-échevin de l’Enseignement, Jean-Pol Demacq, pour détournement par fonctionnaire public.


7. L’affaire Wagner
Le pitch. L’affaire concerne les liens intenses entre l’homme d’affaires Robert Wagner et son ami politique Jean-Claude Van Cauwenberghe. L’enquête judiciaire aurait retracé tous les épisodes d’une ascension en parallèle. L’un dans le business immobilier. L’autre en politique. De la construction d’un centre commercial sur un terrain industriel, obtenu à bas prix et via une procédure d’octroi de permis douteuse, à l’acquisition par Van Cau d’une maison vendue… à bas prix par la famille Wagner, à la côte d’Azur.
La procédure. Une instruction a été ouverte à l’été 2008 à Charleroi. Jean-Claude Van Cauwenberghe n’aurait pas été inculpé. Mais il s’agit d’un dossier «blanchiment», pour lequel la prescription est extensive.

David Leloup